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OTAN, Russie : les meilleurs ennemis n’en viendront pas aux mains

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JOL Press : L’OTAN a jugé hier  « incroyablement inquiétant » la présence militaire russe à la frontière de l’Ukraine, envisageant différentes possibilités (volonté d’établir un corridor Russie/Crimée, prise du port ukrainien d’Odessa…). Quel sens ont ces déploiements de troupes russes, selon vous ?
 

Philippe Migault : Il faut raison garder. Je souligne que des déplacements de troupes russes, à l’intérieur du territoire russe, fussent-ils à la proximité des frontières ukrainiennes, ne sont pas illégaux, comme le rappelait récemment le ministre russe des affaires étrangères, Sergueï Lavrov.

Ensuite, la concentration de troupes aux frontières ne signifie pas une aggravation de la crise. Les troupes soviétiques ont manœuvré pendant 40 ans à proximité de la frontière ouest-allemande sans qu’il ne se passe jamais rien et nous en faisions autant de notre côté. L’OTAN a récemment conduit des manœuvres en Norvège, l’exercice « Cold Response », avec des milliers d’hommes. Ce fut l’occasion pour la presse de faire des jeux de mots sur la « Guerre froide » mais la coïncidence s’arrête là : nous n’avons pas, à ma connaissance, l’intention de marcher sur Mourmansk, et nous n’attendons pas d’offensive russe sur le cercle polaire…

Les manœuvres, en contexte tendu, participent du traditionnel ballet de la gesticulation diplomatique, voilà tout. Il faut éviter la surenchère alarmiste.

Par ailleurs, il y a nécessairement une forte concentration militaire russe à proximité de l’Ukraine pour une raison simple : les commandements ouest et sud des forces armées russes sont traditionnellement les deux régions militaires les plus richement dotées en termes d’hommes et de moyens. C’est le legs de la guerre froide pour le commandement ouest, et celui des guerres de Tchétchénie, de Géorgie et de l’instabilité du Caucase pour le commandement sud. Ces moyens militaires étaient déjà basés dans ces régions avant même qu’il y ait le moindre manifestant sur Maïdan.

JOL Press : L’OTAN a suspendu ce mardi sa coopération avec la Russie. Quel impact cette décision aura-t-elle sur les différentes parties ?
 

Philippe Migault : Suspendre la coopération me semble parfaitement contre-productif car cela signifie qu’on ne veut plus discuter, en tout cas qu’on se ferme une porte. Sur le fond, cette coopération se réduit essentiellement à un dialogue politique relevant du dialogue de sourds et à la vérification de certains traités. Elle n’a qu’un caractère stratégique secondaire tant le malentendu Russie-OTAN persiste depuis des années.

JOL Press : Depuis la fin la fin de l’URSS, les relations Russie / OTAN ont été chaotiques (intégration des anciennes républiques soviétiques, bouclier antimissile des Américains…). Les tensions actuelles ne sont-elles pas simplement une continuité de cette méfiance structurelle entre les deux ?
 

Philippe Migault : Si, bien entendu. Avec en plus ce petit parfum de guerre froide qu’aiment tant invoquer les journalistes, l’annexion de la Crimée, les concentrations de troupe. Cent ans après on se croirait revenus en 1914 mais ce coup-ci, fort heureusement, on joue surtout à se faire peur.

JOL Press : L’OTAN serait-elle prête à des réponses militaires si la Russie continuait dans cette voie ?
 

Philippe Migault : L’Alliance est de nature défensive. Son article 5 stipule que tous ses membres doivent porter secours à la moindre attaque contre l’un des Etats la composant. Cette réponse peut être, à l’appréciation des Etats membres, militaire ou d’une autre nature. Mais, quoi qu’il en soit cela n’a aucune espèce d’importance en ce qui concerne l’Ukraine. Celle-ci n’est pas membre de l’OTAN. La France et l’Allemagne, je le rappelle, ont mis leur veto en 2008 à son intégration dans l’Alliance. Il n’y a donc aucune obligation juridique de solidarité envers Kiev.

Propos recueillis par Romain de Lacoste pour JOL Press

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Philippe Migault est Directeur de recherche à l’Institut des Relations Internationales et stratégiques (IRIS). Il est spécialiste des questions de défense.

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