Site icon La Revue Internationale

Pologne: la crise en Ukraine au cœur des élections européennes

[image:1,l]

 

[image:2,s] L’idée de cet entretien est née de la réponse de Monsieur Boguslaw Liberadzki, membre polonais du Parlement européen, à une question de JOL Press sur le réseau social GovFaces.

 

 

 

 

 

JOL Press : Quelle est la position du gouvernement polonais vis-à-vis de la crise en Ukraine ? Qu’en pense la population ?
 

Pawel Tokarski : Sa position est similaire à celle des autres Etats membres de l’UE : la Russie doit respecter les règles les plus élémentaires des relations internationales, à savoir le principe d’intégrité territoriale et celui de la souveraineté des Etats. Accepter que les frontières d’Europe centrale puissent être modifiées par la force reviendrait à ouvrir les portes de l’enfer.

En Pologne, beaucoup de gens pensent que les Russes vivant à l’étranger apprécient les libertés dont ils sont privés dans leur pays. Le gouvernement russe devrait d’abord s’occuper, sur son territoire, de la primauté des droits individuels et de son économie avant de défendre sa population expatriée. Il semblerait que le Kremlin profite de la crise ukrainienne pour détourner l’attention de ses problèmes internes et pour maintenir le régime actuel, non démocratique, au pouvoir.

JOL Press : La crise ukrainienne a-t-elle des conséquences sur la campagne pour les européennes en Pologne ?
 

Pawel Tokarski : Indirectement, oui. La politique étrangère et la sécurité ne relèvent pas des compétences du Parlement européen, mais de celles des Etats membres. La crise ukrainienne distrait l’attention de l’opinion publique d’autres questions (la nécessité d’entreprendre des réformes économiques en Pologne par exemple). Cette crise a une influence négative sur les débats, dominés par des sujets qui ont peu de rapport avec la politique menée par Bruxelles.

De plus, il faut bien avoir à l’esprit que les élections européennes en Pologne serviront de test important avant les législatives et la présidentielle de 2015.

JOL Press : Pourquoi les questions de l’Ukraine et de la sécurité de la Pologne sont-elles devenues primordiales lors de cette campagne ?
 

Pawel Tokarski : Pour la première fois depuis 25 ans, les Polonais estiment que la menace militaire à l’est est réelle. Nous nous sommes réveillés dans un monde différent, où notre voisin est devenu imprévisible et prêt à envoyer des troupes pour atteindre ses objectifs politiques. Nous ne pouvons pas ignorer la frontière qui nous sépare de l’oblast de Kaliningrad (enclave russe au bord de la mer Baltique, ndlr). Les armes nucléaires russes peuvent nous atteindre en quelques minutes.

A Paris, à 1 500 km de chez nous, le ressenti est sans doute différent. Mais à Varsovie, ce sentiment d’insécurité n’a rien de surprenant.

JOL Press : Quel parti politique polonais pourrait profiter de cette situation lors des élections européennes ?
 

Pawel Tokarski : A priori, cela profiterait à la Plate-forme civique (PO), le parti au pouvoir (libéral-conservateur, ndlr). Les Polonais semblent apprécier son approche modérée et raisonnable face à la crise. En outre, notre pays a eu une place importante dans la gestion européenne de la crise. Notre ministre des Affaires étrangères, Radek Sikorski, et ses homologues français et allemand, ont joué un rôle clé pour arrêter le bain de sang à Kiev. Tout cela a favorisé le PO dans les sondages.

JOL Press : La Pologne est-elle une victime collatérale des sanctions imposées à la Russie ?
 

Pawel Tokarski : Avant la crise, nous avions déjà des problèmes commerciaux avec la Russie. Moscou stoppe régulièrement ses importations agricoles de Varsovie en avançant des raisons sanitaires. Or, ces produits remplissent les normes européennes strictes et sont exportés sans problème vers la France ou l’Allemagne. Nous n’avons pas peur de ces sanctions : nous considérons que leur coût est inférieur à celui de l’inaction. La solution consisterait peut-être à mettre en place un plan européen pour compenser proportionnellement les pertes économiques liées aux sanctions.

JOL Press : En quoi les sanctions imposées à la Russie impactent-elles l’économie polonaise ?
 

Pawel Tokarski : La Russie est un partenaire économique important pour la Pologne. Le pays représente 4,7% de nos exportations et 14,3% de nos importations (notamment pour l’énergie). Les sanctions affecteront notre balance commerciale, mais je ne crois pas que Moscou va stopper ses livraisons de gaz et d’essence vers Varsovie. La Russie a davantage besoin de l’argent européen que l’Europe n’a besoin de ses ressources énergétiques.

La Pologne devrait chercher d’autres partenaires commerciaux pour exporter nos produits agricoles. Le fait que la Russie ne soit plus un partenaire commercial fiable est un problème considérable pour ce pays. La chute du rouble face au dollar et la hausse des prix des denrées alimentaires de base pourraient impacter négativement la popularité de Poutine.

———————-

Pawel Tokarski est chercheur à l’Institut polonais pour les relations internationales (PISM), spécialisé dans les politiques européennes. Il est aussi doctorant à l’Ecole d’économie de Varsovie. Sa thèse s’intitule « Les nouveaux plans multi-annuels 2014-2020 – entre réalité économique et discours politique ».

Quitter la version mobile