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Présidentielle en Algérie: l’heure du bilan et les scénarios possibles

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JOL Press : Quel bilan faites-vous de la campagne électorale menée par Abdelaziz Bouteflika – et surtout par son directeur de campagne, Abdelmalek Sellal ?
 

Rachid Grim : Ce fut une campagne catastrophique pour le président/candidat Abdelaziz Bouteflika. Sellal n’a absolument pas été à la hauteur de sa mission de premier représentant du candidat. De bourde en bourde, il a fini par devenir la risée des citoyens, des internautes et de la presse. Il a même failli être responsable du soulèvement de toute la région des Aurès, à cause d’une déclaration de très mauvais goût sur les chaouis.

Dès le début de la campagne électorale, Sellal avait perdu sa crédibilité de technocrate sérieux et compétent pour n’être plus considéré par une majorité d’observateurs et de citoyens que comme un simple bouffon qui n’a pas sa place dans une campagne. Encore moins pour représenter efficacement un président invisible.

La question qui se pose est de savoir pourquoi, malgré les bourdes à répétition, il a été maintenu à son poste de directeur de campagne. La réponse est simple : les autres membres du staff de campagne de Bouteflika ne valent pas mieux et n’ont aucune crédibilité auprès des citoyens. Chacun d’entre eux traînait des casseroles connues de tous, soit comme responsables de politiques iniques, soit comme auteurs de bourdes verbales toutes aussi graves que celles de Sellal. Bouteflika n’avait donc pas trop le choix de son représentant porte-parole. Sellal avait au moins l’avantage d’être un vrai fidèle du président.

Des mesures populistes

Pour rattraper quelque peu la mauvaise image qu’il traîne, Sellal a su jouer d’une part sur la peur d’une instabilité politique, à l’image des pays qui ont connu un « printemps arabe », et d’autre part sur le bilan des 15 ans de pouvoir de Bouteflika. Bilan bien entendu présenté comme totalement positif, en premier lieu concernant la stabilité et la paix ramenées par lui après une dizaine d’années de guerre civile et 200 000 morts.

Par ailleurs, il a annoncé toute une série de mesures de type populiste qui consistent en la distribution à tout va de ce qui reste de la manne financière engrangée depuis le début des années 2000 : réalisation et distribution de millions de logements pour mettre fin à la crise au plus tard en 2015 ; réalisation d’un TGV qui relira les frontières est et ouest du pays ; création de nouvelles wilayas (départements) pour faire plaisir aux populations des régions concernées ; de l’eau et du gaz partout ; création de millions d’emplois ; durée du service militaire ramené à une année, etc. Et sur ce registre de la dilapidation financière, Sellal a déjà fait la preuve de sa crédibilité : pendant toute l’année 2013, il a fait le tour des 48 wilayas du pays et a distribué des milliards de dinars (non prévus au budget de l’État) à chacune de ces wilayas.

JOL Press : Dans quel état d’esprit se trouvent les Algériens à la veille de cette élection présidentielle ?
 

Rachid Grim : Si je me fie à ce que j’entends et vois depuis quelques jours, c’est la peur qui l’emporte sur tout le reste. La peur du lendemain du scrutin et les possibles dérapages qui s’annoncent. Dans leur grande majorité, les Algériens ne sont pas intéressés par l’élection elle-même. Pour eux, les jeux sont déjà faits et Bouteflika sortira grand vainqueur du scrutin. Grâce à la fraude. Personne ne sait comment se déroulera la fraude, mais tout le monde est convaincu qu’elle aura lieu.

Le scénario de la fraude et des émeutes

Les citoyens se posent des questions sur les conséquences de cette fraude : comment Ali Benflis [le principal opposant à Bouteflika, ndlr], dont on s’attend qu’il aura les faveurs de l’électorat, réagira à la fraude ? Beaucoup de scénarios circulent sur la place publique, dont les plus probables consistent en une annonce, avant minuit, par Benflis, de sa victoire. Il se basera sur les informations (procès-verbaux de dépouillement) que feront remonter ses 60 000 représentants dans les bureaux de vote et qui seront consolidés en temps réel par wilaya [préfecture] et au niveau national. Il se proclamera donc vainqueur du scrutin et appellera ses partisans à défendre leurs votes.

Le ministère de l’Intérieur donnera probablement, dès le lendemain, d’autres résultats qui proclameront Bouteflika vainqueur. Le Conseil Constitutionnel en fera de même quelques jours plus tard, après « vérification » et traitement des recours. Les manifestations pacifiques du début déraperont rapidement en émeutes, dont profiteront tous ceux dont l’intérêt est dans l’instauration d’un climat de violence et d’anarchie. Et ils sont nombreux.

Le scénario ajoute que l’armée, jusque là neutre, sera obligée d’intervenir pour soit maintenir au pouvoir Bouteflika, soit l’obliger à renoncer et à accepter la victoire de Benflis, soit prendre le pouvoir et instituer une période de transition d’une année ou deux, le temps de remettre le système sur les rails. Je ne sais pas si ce scénario, qui est dans toutes les bouches se concrétisera, mais ce qui est réel et palpable, c’est que les Algériens dans leur grande majorité font des réserves de provisions pour pouvoir faire face au pire après le 17 avril.

JOL Press : Doit-on alors s’attendre à un regain de tensions le jour du scrutin ?
 

Rachid Grim : Rien qui sorte de l’ordinaire pour un jour d’élection. Probablement quelques accrochages entre partisans de Benflis et de Bouteflika (et même des quatre autres candidats). Et aussi quelques tentatives de boycotteurs d’empêcher les votants de pénétrer dans les centres et bureaux de vote. Quelques chahuts des membres du mouvement « Barakat ». Au pire, quelques bagarres (avec ou sans armes blanches) qui se produiront ici ou là, à cause d’esprits chauffés à blanc par la propagande des uns et des autres. C’est surtout après le jour du scrutin qu’il faudra s’attendre à des dérapages sérieux qui risquent d’aller très loin (émeutes violentes et risque d’intervention de l’armée pour ramener l’ordre).

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JOL Press : Malgré un scrutin que beaucoup disent « joué d’avance », Ali Benflis est considéré comme le seul opposant de poids à Bouteflika. Quelles sont ses chances selon vous ?
 

Rachid Grim : Ali Benflis, qui a fait une campagne électorale des plus efficaces et qui est réellement un candidat crédible, n’a aucune chance de l’emporter face à la machine à frauder qui s’est mise en route depuis longtemps et qui débouchera sur la victoire de Bouteflika. Le clan avait déjà tout verrouillé en matière d’administration de l’élection : les ministères de l’Intérieur et de la Justice ont été confiés à des fidèles du président ; la même chose pour le Conseil Constitutionnel qui a déjà fraudé en déclarant Bouteflika apte à se présenter, malgré un état de santé visiblement délabré. L’Armée elle-même a été mise sous la tutelle d’un autre fidèle du président, le Général-Major Gaid Salah, nommé en même temps vice-ministre de la Défense.

« Ali Benflis ne se taira pas »

Les chances de Benflis, car elles existent, sont dans ses capacités manœuvrières. Il a annoncé qu’il ne se taira pas, si la fraude massive que par ailleurs il annonce, venait à le priver d’une victoire dans et par les urnes. Il a plusieurs fois affirmé qu’il fera surveiller les urnes et tout le processus de dépouillement (y compris les procès-verbaux de chaque bureau de vote sur tout le territoire national) par 60 000 de ses partisans, qu’il fera lui-même en temps réel le décompte des voix par commune, daira et wilaya, et consolidera le tout à l’échelle nationale à partir desdits PV. Et sil constate qu’il y a eu fraude massive, il appellera ses partisans et les citoyens à refuser les résultats de la fraude.

Pourra-t-il aller jusqu’à demander à ses partisans de multiplier les sit-in des jours durant, quitte à ce que le mouvement dérape dans la violence extrême ? L’arrière-pensée serait que l’armée sera obligée d’intervenir pour mettre fin au chaos et restaurer la paix. Soit elle annulera les résultats du scrutin et instaurera une transition d’une année ou deux avec elle aux manettes ; soit, si les preuves de la victoire de Benflis sont incontestables, lui confier le poste de président de la République avec comme feuille de route de mener une vraie transition vers une deuxième république.

Et dans cette perspective, que feront tous les soutiens de Bouteflika (dont tous les milliardaires du commerce et de l’économie informels qui l’ont soutenu à coups de milliards et qui ont tout à perdre) ? N’iront-ils pas jusqu’à la guerre civile, rien que pour continuer de profiter de la rente ?

JOL Press : Un second tour est-il possible lors de cette élection ?
 

Rachid Grim : Si l’on tient compte du calendrier électoral, il est évident qu’un deuxième tour n’a pas du tout été envisagé. Le premier tour des élections coïncide, à deux jours près, avec la fin du mandat présidentiel. Si deuxième tour il y a, il se déroulera au minimum trois semaines après le premier tour. Il y aura automatiquement vacance du pouvoir. Un vrai casse-tête juridique. D’un autre côté, toujours en se référant à la personnalité de Bouteflika, il n’y a aucune chance qu’il accepte un deuxième tour, même victorieux. Il a toujours exigé (en 1999, en 2004 et en 2009) d’être élu au premier tour et avec un pourcentage très confortable pour ne pas dire exorbitant. Il n’y a pas de raison pour que cela change. Même si pour certains observateurs le clan est assez retors pour aller à un deuxième tour, rien que pour prouver qu’il n’y a pas eu de fraude.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

>> Que se passera-t-il si Bouteflika remporte l’élection ? Lire l’autre interview de Rachid Grim sur JOL Press

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