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«Sortir de Schengen serait une catastrophe économique»

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JOL Press : Qu’est-ce que l’espace Schengen ?
 

Catherine Wihtol de Wenden : L’accord de Schengen a été signé en 1985 et mis en œuvre en 1995, d’abord à titre expérimental. Ce dispositif implique deux choses : d’une part, la suppression des contrôles frontaliers entre les Etats signataires et d’autre part, un renforcement des contrôles aux frontières extérieures de cet espace.

A l’époque, l’ouverture des frontières entre les pays membres était la dimension la plus importante. Il s’agissait d’une innovation majeure, instaurant la libre circulation des personnes. A partir des années 1990, le climat sécuritaire aidant, la dimension de contrôle des frontières externes de l’Europe est devenue beaucoup plus importante.

Plusieurs outils ont donc été mis en place : le Système d’Information Schengen (SIS), un fichier informatique contenant des données concernant des personnes recherchées ou surveillées ; le Système Intégré de Surveillance Extérieure (SIVE) le long des côtes méditerranéennes ; l’agence de surveillance des frontières européennes (Frontex).

JOL Press : Quels sont les pays membres de l’espace Schengen ?
 

Catherine Wihtol de Wenden : Il y en a 26. L’espace Schengen regroupe 22 Etats membres de l’UE (Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark, Espagne, Estonie, Finlande, France, Grèce, Hongrie, Italie, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Malte, Pays-Bas, Pologne, Portugal, République tchèque, Slovaquie, Slovénie, Suède) et 4 Etats associés (Islande, Norvège, Suisse, Liechtenstein).

L’Irlande et le Royaume-Uni ne font pas partie de l’espace Schengen, mais prennent part à certains volets de la coopération Schengen (police, justice, SIS).

Chypre reste pour le moment en dehors de cet espace, comme la Roumanie, la Bulgarie et la Croatie. La Commission européenne estime que la Bulgarie et la Roumanie sont bien préparées à l’application de l’accord de Schengen, mais le Conseil n’est pas favorable à leur adhésion, qui reste pour le moment incertaine.

JOL Press : L’accord de Schengen est régulièrement critiqué. Pourquoi ?
 

Catherine Wihtol de Wenden : L’obtention de visas Schengen est difficile à obtenir. Il y a donc une stratégie de contournement pour rentrer dans cet espace – l’afflux de migrants à Lampedusa, en Italie, ou aux Canaries le montre. Certains s’interrogent donc sur l’efficacité de Schengen dans la mesure où de nombreuses personnes arrivent à entrer clandestinement dans l’Union européenne.

Beaucoup de passeurs jouent d’ailleurs sur ce système. On le voit dans le film « L’Escale » : une fois arrivés en Grèce, des migrants iraniens se retrouvent livrés à eux-mêmes et doivent se débrouiller pour rejoindre leurs familles. Cela explique le scepticisme de certains pays du nord de l’Europe quant à la capacité des pays du sud à contrôler efficacement les frontières externes de l’espace Schengen.

JOL Press : Pourrait-on revenir à l’Europe d’avant Schengen ?
 

Catherine Wihtol de Wenden : L’Europe vit de la libre circulation des populations et des marchandises. Sortir de Schengen serait une catastrophe pour l’économie européenne – qui n’a guère besoin de cela. En termes de trafic et d’échanges commerciaux, on ferait un bond de 30 ans en arrière. Cela signifierait le retour des contrôles d’identités et des marchandises aux frontières, il faudrait des permis de séjour pour travailler à l’étranger etc.

Le Royaume-Uni ne fait pas partie de l’espace Schengen et ne s’en sort pas plus mal. Mais la situation est totalement différente. On ne peut pas comparer le fait de passer de la France à l’Angleterre en bateau avec le fait de passer de la France à l’Allemagne en empruntant le pont de Kehl. Pour des pays insulaires, on comprend bien que le gain est limité.

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Catherine Wihtol de Wenden est directrice de recherche au CNRS et docteur en science politique de Sciences Po. Elle a été consultante pour divers organismes dont l’OCDE, la Commission européenne, le HCR et le Conseil de l’Europe. Depuis 2002, elle préside le Comité de recherche «Migrations» de l’Association internationale de sociologie. Ses recherches comparatives portent sur les flux, les politiques migratoires et la citoyenneté en Europe et dans le monde.

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