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Avec son plaidoyer européen, Nicolas Sarkozy s’est-il trop exposé?

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L’ancien président de la République publie cette semaine une longue tribune sur l’Europe (shutterstock.com)

L’ancien président de la République livre sa vision de l’Europe à quelques jours du scrutin des européennes, dans les colonnes du Point. « Ne laissons ni aujourd’hui ni demain détruire ce trésor » qu’est l’Europe, écrit-il. « L’absence de leadership met l’Europe en danger car sans vision, sans cap et sans priorité ».

Concernant l’immigration, il estime que « nous sommes ici devant un échec sans appel ». « Nous ne pouvons plus continuer ainsi à faire semblant de croire qu’il est encore possible d’accueillir tous ceux qui le souhaitent », explique-t-il. « C’est une évidence qu’il faut suspendre immédiatement Schengen I et le remplacer par un Schengen II auquel les pays membres ne pourraient adhérer qu’après avoir préalablement adopté une même politique d’immigration. Ainsi serait-il mis fin au détournement de procédure qui permet à un étranger de pénétrer dans l’espace Schengen, puis une fois cette formalité accomplie de choisir le pays où les prestations sociales sont les plus généreuses. Si nous ne réagissons pas rapidement dans les années qui viennent, c’est notre pacte social qui va exploser ».

JOL Press : Pourquoi Nicolas Sarkozy a-t-il cru bon de publier une telle tribune ?

Jean-Luc Mano : Il a voulu donner un sentiment à la fois sur le débat européen mais aussi un coup de main aux listes de l’UMP. Mais dans le fond, on voit bien qu’il souhaite venir en aide à ceux qui se battent autour de l’idée européenne, qui ne désespèrent pas de l’idée européenne. La montée de l’euroscepticisme est évidemment l’une de ses préoccupations. Il a été, par ailleurs, président de la République, il a présidé dans les moments difficiles l’Union européenne, il n’est donc pas anormal qu’il intervienne dans le débat. Je remarque que, de manière assez symptomatique, le président Valéry Giscard d’Estaing est intervenu, à plusieurs reprises, autour de la question européenne. C’est le privilège des anciens présidents.

JOL Press : Nicolas Sarkozy dénonce « l’absence de leadership » actuelle qui « met l’Europe en danger ». S’imagine-t-il en unique recours face à ce manque de leadership ?

Jean-Luc Mano : Non, je ne crois pas. Ce n’est pas ce qui ressort de son texte. Nicolas Sarkozy a toujours dit et a toujours pensé qu’une Europe à 28 était extrêmement compliquée. Ses deux idées phares sont le renforcement du couple franco-allemand et la question du leadership en Europe. Il souhaite des dirigeants européens qui s’imposent. Il pense qu’il faut un pouvoir français fort, dans l’axe franco-allemand pour équilibrer le pouvoir de l’Allemagne qui est l’élève bien-portant de l’Europe. Cette idée du leadership européen n’est pas nouvelle.

Maintenant, qu’il y ait en creux de cette question une critique du bilan européen de François Hollande, cela paraît évident. C’est de bonne guerre. Si on regarde la réalité de l’exercice de l’autorité en Europe, il est vrai que ce n’est pas sur cette question que François Hollande a exercé avec le plus de talent son pouvoir.

JOL Press : En voulant « suspendre immédiatement Schengen I et le remplacer par un Schengen II auquel les pays membres ne pourraient adhérer qu’après avoir préalablement adopté une même politique d’immigration », que cherche-t-il ? A séduire les électeurs du FN ?

Jean-Luc Mano : On est dans la logique de la fin de sa campagne de 2012. Il disait alors que s’il n’y avait pas de renforcement de la sécurité aux frontières des pays qui ont signé l’accord de Schengen, il faudrait revoir Schengen. Ce n’est pas une idée nouvelle. Cette idée de lancer un Schengen II est évidemment quelque chose qui peut satisfaire et chatouiller la sensibilité des électeurs du Front national et au-delà de tous ceux qui sont préoccupés par ces questions de flux migratoires.

Schengen est un espace de libre-circulation absolu où les protections aux frontières de chaque pays européen, dans l’espace Schengen, ont été supprimées, mais il ne faut pas nier l’immense difficulté à contrôler les frontières à l’extérieur de l’espace Schengen ; on voit bien en Italie la difficulté autour de Lampedusa. Deux questions se posent, celle du contrôle et de la protection des frontières extérieures de l’espace Schengen, mais aussi celle de la volonté de maîtriser les flux migratoires, ce qui est une question plus politique.

Il faut remarquer que pendant sa campagne, la position de Nicolas Sarkozy était très électoraliste, il disait qu’il fallait sortir de Schengen si le contrôle aux frontières ne s’améliorait pas. Il n’est plus question aujourd’hui de sortir de Schengen mais de négocier un second Schengen, dont on peut imaginer qu’il devrait comprendre des mesures renforcées.

JOL Press : Souhaite-t-il apparaître comme le nouveau Delors à l’heure où les institutions européennes connaissent une crise de confiance sans précédent ?

Jean-Luc Mano : En France, sur les questions européennes, on est face à un immense scepticisme, à du dépit, voire à de la colère et ce qui est assez intéressant c’est le positionnement de l’ancien président de la République comme un militant très actif et très volontaire de l’Europe : il ne cède pas à la tentation anti-européenne. On aurait pu imaginer qu’il souhaite surfer sur le sentiment anti-européen, ce n’est pas du tout le cas, et de ce point de vue, c’est plutôt une tribune courageuse.

Je trouve qu’il est cependant très compliqué de le comparer à Delors, leurs parcours sont vraiment différents. Il y a quelques voix en France qui sont des voix de défense de l’Europe. Je pense au courant centriste avec des personnalités comme François Bayrou, Jean-Louis Borloo ou Marielle de Sarnez qui incarnent très clairement le courant européen le plus militant. Et puis il y a ceux qui ne sont pas fédéralistes et il est vrai qu’il y a des points communs entre Giscard, Delors et Sarkozy, dans la lignée des fondateurs et de Mitterrand.

JOL Press : Ce genre de tribune a-t-elle des chances de mobiliser ou peut-elle au contraire se retourner contre lui ?

Jean-Luc Mano : On peut naturellement se dire que, malgré son intervention, l’UMP arrivera après le Front national au soir des élections. Certaines voix pourront alors dire que la voix de l’ancien président ne compte pas beaucoup. Mais si l’UMP arrive en tête, il pourra dire qu’il a joué un rôle dans cette victoire. Mais je pense que l’Europe est une question assez importante pour ne l’examiner que de manière tactique et je pense sincèrement que lundi, au lendemain de l’élection, quelque soit le résultat, si Nicolas Sarkozy en tant qu’ancien président n’était pas intervenu au sein du débat européen, on aurait plus à le lui reprocher.

On ne parle pas là d’une petite question de politique intérieure, mais d’une question fondamentale qui engage l’avenir du pays et du continent et c’est le rôle d’un ancien président de la République de se prononcer sur la question. Je dirais même que compte-tenu de son bilan européen, jugé de manière générale plutôt satisfaisant, et par sa fonction la voix de Nicolas Sarkozy sur l’Europe est doublement autorisée.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Jean-Luc Mano a été journaliste, puis est devenu parallèlement conseiller en communication. Il a débuté sa carrière à L’Humanité en 1979, puis est passé par TF1 en 1983, dont il est devenu chef du Service politique. Il est aujourd’hui conseiller en communication chez Only Conseil dont il est le co-fondateur et le directeur associé. Il anime un blog sur l’actualité des médias et vient de publier Les Perles des politiques.

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