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Biélorussie, «la petite Ukraine»

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Alexandre Loukachenko, président de la Biélorussie sans discontinuer depuis 1994. Crédit : Shutterstock

JOLPress : Quelle est la situation actuelle en Biélorussie ?
 

Stéphane Chmelewsky : La situation n’est pas très brillante du point de vue des droits de l’homme et des libertés du citoyen. On peut considérer que ces droits ne sont pas respectés à travers des situations comme les fraudes massives aux élections, le contrôle voire la censure de la presse et les leaders d’opposition qui finissent toujours par avoir des ennuis, pouvant aller jusqu’à l’emprisonnement sous les prétextes les plus divers.

Ceci étant, en matière de Droits de l’Homme, tout est question de degré, si vous répétez ce que je viens de vous dire à un officiel Biélorusse il vous rétorquera : est-ce mieux en Russie ? En Ouzbékistan ? Etc, etc…

La grande différence est, qu’au total, pour un pays très proche de l’UE, c’est une situation dont les Européens peuvent difficilement s’accommoder. Ce n’est pas que cela soit mieux lorsque ça se passe loin des frontières européennes, mais ces violations répétées sont plus évidentes quand elles se présentent à leur porte.

JOLPress : L’association Amnesty International a récemment lancé une pétition pour libérer des opposants politiques emprisonnés. Qu’en pensez-vous ?
 

Stéphane Chmelewsky : Je reconnais surtout le mécanisme classique où on met des gens en prison sous des faux prétexte, à l’issue de procès qui sont des parodies de justice et où il n’y a quasiment pas de défense.

Suivant un schéma récurrent, plus on fait de bruit à l’étranger comme Amnesty International à propos de ces prisonniers d’opinion, plus on garantie leur bien-être en prison ou on empêche leurs gardiens de trop les persécuter. C’est une expérience que j’ai moi-même eue avec d’autres personnes.

JOLPress : Les derniers sondages montrent que l’opinion est de moins en moins favorable à Loukachenko… Combien de temps son système peut-il durer ?
 

Stéphane Chmelewsky : Ça durera autant que Loukachenko durera, mais il n’est pas certain que la situation qui succèdera sera meilleure pour les Biélorusses.

Le modèle des affaires de gestion de l’Etat que Loukachenko a instauré s’inspire beaucoup de celui en vigueur en URSS avec une intervention massive de l’Etat. La fraude électorale est un des moyens les plus véniels, le principal est de conforter les couches de la population qui peuvent voter pour lui.

Tous les anciens de ce qu’on appelle dans cette partie du monde les « ministères de force » – l’Intérieur, les services spéciaux, l’armée – sont des gens qui font l’objet des attentions les plus extrêmes du pouvoir. On leur trouve des appartements avec des prix étudiés, ils reçoivent toujours leurs retraites de façon régulière, ce qui est loin d’être le cas dans d’autres pays.

Au début de ses différents mandats, Loukachenko a importé en Russie des anciens des ministères de force russes qui étaient relativement maltraités du point de vue de leurs retraites ou de leurs conditions de logement. Il leur a fait miroiter des conditions d’installation très avantageuses en Biélorussie, ce qui fait qu’ils sont venus en très grand nombre et qu’ils constituent maintenant un substrat électoral qui lui est complètement dévoué.

JOLPress : L’Union Européenne peut-elle intervenir et changer les choses ?
 

Stéphane Chmelewsky : Elle le peut encore, bien que son champ de manœuvre soit limité. Mais le problème est plutôt de savoir si elle le veut.

Finalement, dans une bonne partie de l’Union européenne qui n’est pas directement en contact avec les anciens pays de l’URSS – et qui n’en a jamais fait partie –, il y a une opinion assez répandue selon laquelle la Biélorussie n’existe pas vraiment.
On se demande si c’est un peuple ou une nation, et on ne voit pas pourquoi on irait se battre pour ce qui est en fait russe et qui va inéluctablement revenir à la Russie.

Il existe des moyens, en se montrant extrêmement exigeant vis-à-vis des autorités biélorusses par exemple. C’est aussi à la société civile de faire le plus de bruit possible autour des prisonniers politiques pour que les Biélorusses sachent qu’il y a une opinion internationale qui regarde ce qu’ils font.

Mais il n’y a pas de consensus et une certaine mollesse de l’UE vis-à-vis de ces problèmes.

JOLPress : un scénario similaire à ce qui se passe en Ukraine est-il envisageable en Biélorussie ?
 

Stéphane Chmelewsky : Je dirais presque que cela s’est déjà produit. Aux dernières élections présidentielles en 2006 et 2010, il y a eu à chaque fois des manifestations fortes contre la fraude électorale – en 2006, l’une des principales places de Minsk a été occupée pendant plus d’une semaine.

La grande différence avec l’Ukraine est l’échelle. Les ressources humaines ne sont pas les mêmes, mais surtout il y a un contrôle de la population par des moyens tels que l’opposition n’arrive pas à faire « monter la mayonnaise » pour que cela dure suffisamment. Ce qui entraine la victoire de Loukachenko et la disparition momentanée de tous ceux qui se sont opposés à lui.

Mais si par hasard Loukachenko était renversé, il se réfugierait en Russie comme Ianoukovitch, et on découvrirait un mode de vie similaire. Moscou aurait la même attitude, qui viserait à tout faire pour qu’il y ait un pouvoir qui lui soit favorable.

Le critère nouveau est que Loukachenko se retrouverait encore plus en porte-à-faux que son homologue ukrainien. Loukachenko s’est longtemps opposé aux dirigeants russes, y compris Poutine, en prétextant « l’indépendance de la Biélorussie ».

Ce qui se passe en Ukraine lui enlève cet argument, lui qui prétend être le seul rempart de l’indépendance biélorusse. En réalité, il est pieds et poings liés parce que la Biélorussie est encore plus dépendante énergétiquement de la Russie que ne l’est l’Ukraine.

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