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«Europe de droite» ou «Europe de gauche»: l’enjeu des Européennes?

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Au Parlement européen, sur les cinq dernières années, le PPE avait 36% des sièges et les socialistes 25% (shutterstock.com)

Invité de LCI-Radio Classique ce lundi 12 mai, l’ancien ministre de l’Education nationale, Vincent Peillon a affirmé que l’enjeu des élections européennes n’était pas la bataille entre les Européens convaincus et les eurosceptiques mais bien la bataille entre la gauche et la droite qui gouvernent l’Europe depuis dix ans.

JOL Press : Pour Vincent Peillon, l’Europe est gouvernée par la droite depuis dix ans. Est-ce exact ?

Yves Bertoncini : Je suis globalement d’accord avec lui, au moins sur les cinq dernières années. Je pense même que là, il y a un vrai sujet qui est en réalité le sujet central de la campagne et qui n’est pas du tout couvert comme il se devrait par les médias. Les journalistes ne s’intéressent qu’aux populistes et à l’extrême droite. L’enjeu de cette campagne, comme celui de toutes les élections, c’est d’expliquer qui va gagner. Et le gagnant sera soit la droite, soit la gauche.

Le Parti populaire européen (PPE) et le Parti socialiste européen (PSE) sont actuellement au coude à coude dans les sondages et c’est en cela que la position de Vincent Peillon a un sens. L’enjeu de la campagne est avant tout de savoir quel est le bilan de ces forces politiques et quelles sont leurs propositions. Et sur la partie bilan, il est tout à fait juste de dire que l’Europe des cinq dernières années était une Europe de droite.

Dans l’étude Des visages sur des clivages : les élections européennes de mai 2014, que nous avons réalisée avec Thierry Chopin, nous montrons qu’au Parlement européen, sur les cinq dernières années, le PPE avait 36% des sièges et les socialistes 25%. Quant aux libéraux, ils détenaient 11% des sièges. Au Parlement, il y a certes des compromis, des coalitions qui se forment au grès des sujets mais arithmétiquement le Parlement était dominé par la droite.

La Commission européenne était elle aussi outrageusement dominée par la droite. Dans un tableau qui reprend le profil politique des commissaires, nous avons établi que trois quarts des commissaires étaient de droite et seulement un quart était de gauche. On peut d’ores et déjà savoir que la prochaine Commission européenne sera plus équilibrée puisque les commissaires sont désignés par leur propre gouvernement. De nombreux gouvernements de droite ont, en effet, perdu les élections, à l’instar de la France ou l’Italie.

Ceux qui ont joué un rôle capital, dans la période récente, sont les chefs d’Etat et de gouvernement. Si aujourd’hui la situation est assez équilibrée, ces cinq dernières années, le Conseil européen était dominé par la droite. A la grande époque du « Merkozy », tandem de droite, il y avait aussi David Cameron et Silvio Berlusconi ; le seul socialiste des grands pays européens était José Luis Zapatero qui a été battu. Par conséquent, sur les cinq dernières années, il est tout à fait juste de dire que l’Europe était à droite.

JOL Press : Faire des prochaines élections une bataille entre les Européens convaincus et les eurosceptiques est donc une erreur, selon vous ?

Yves Bertoncini : Je crois, en effet, que la bataille entre les Européens convaincus et les eurosceptiques est subsidiaire et que nous passons à côté du sujet central. A l’occasion de ces élections, les citoyens vont pouvoir élire le président de la Commission. Les partis ont désigné des candidats : on vient de parler de Martin Schulz et Jean-Claude Juncker mais sont aussi dans la course le Grec Alexis Tsipras, leader du mouvement Syriza, pour représenter le Parti de la gauche européenne, le Français José Bové et l’Allemande Ska Keller pour représenter Europe Ecologie Les Verts, et le Belge Guy Verhofstadt, candidat de l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe (ADLE).

Comme par hasard, certaines formations n’ont pas désigné de candidat : l’extrême droite, la droite europhobe, la droite Ukip (le parti populiste du britannique Nigel Farage) et la droite eurosceptique. On se demande si ces formations jouent vraiment le jeu européen.  Et si on regarde les sondages, très très loin devant, on trouve le PPE et le PSE qui sont crédités de plus de 200 sièges chacun quand l’extrême droite peut espérer obtenir au mieux 50 sièges. Pourquoi ne parle-t-on que des 50 sièges de l’extrême droite et non des 400 sièges des socialistes et des conservateurs ? C’est totalement ahurissant.

Il est clair que nous assistons à une vraie poussée, à une progression de l’extrême droite en Europe mais elle n’est pas présente dans tous les pays : il n’y a pas d’extrême droite en Espagne, il n’y en a pas non plus en Allemagne, et pas vraiment non plus en Italie – la Ligue du Nord est assez bas dans les sondages. Le débat « pour ou contre l’Europe » existe, je ne le nie pas, mais il va être gagné de manière massive par les gens qui sont pour. Et on a l’impression que c’est le contraire.

JOL Press : Quelles sont les divergences de fond qui existent entre Martin Schulz, candidat à la présidence de la Commission du Parti socialiste européen et Jean-Claude Juncker, qui représentera le Parti populaire européen ?

Yves Bertoncini : Dans le détail, y compris dans leurs débats, certaines divergences sont assez nettes même s’ils partagent un certain nombre de points de ralliement. Martin Schulz et Jean-Claude Juncker sont des spécialistes des affaires européennes et savent très bien, non pas par plaisir mais par nécessité, qu’il faut faire des compromis. Au Parlement, à cause de la proportionnelle, aucun groupe ne domine, les compromis sont donc inévitables. Cette culture du compromis donne l’impression qu’ils se retrouvent sur tous les sujets mais ce n’est pas exact.

Des divergences, j’en vois au moins deux. Sur la question de la régularisation de la finance folle, on entend de la part de Martin Schulz un discours que l’on n’entend pas chez Jean-Claude Juncker. Et cela s’explique très bien : Jean-Claude Juncker en tant qu’ancien Premier ministre du Luxembourg, qui est une véritable place forte financière, a un discours très pondéré sur la question.  

La deuxième divergence porte sur les politiques d’austérité. Jean-Claude Juncker a présidé l’Eurogroupe, il était là à l’époque du « Merkozy » et de tous ces conseils européens dominés par les conservateurs. Martin Schulz a tendance à dire qu’on en a trop fait, que l’Eurogroupe a mal agi, qu’il y a trop d’austérité, qu’on a été trop dur avec les « pays sous-programme » (Grèce, Irlande et Portugal). Martin Schulz veut incarner une autre Europe, plus ouverte à la croissance.

JOL Press : Avec l’arrivée de socialistes au Conseil européen, comment envisager les cinq prochaines années de l’Union européenne ?

Yves Bertoncini : Je crois que nous entrons dans un cycle politique qui sera plus équilibré que le précédent. Le cycle précédent était un cycle de crise très aiguë et les autorités nationales et européennes de droite ont été obligées de prendre des mesures dans l’urgence. Nous entrons désormais dans un nouveau cycle économique – la crise est en partie dépassée et la Troïka installée dans quatre pays a déjà quitté deux de ces quatre pays – qui sera moins dans l’austérité. Le cycle politique sera en harmonie avec cette nouvelle conjoncture. Le Conseil européen est, comme nous l’avons dit plus équilibré et la Commission et le Parlement vont être plus équilibrés du point de vue partisan et du point de vue des mesures qui vont être prises par l’Union européenne.

Je crois, enfin, que nous entrons dans un cycle politique qui sera beaucoup plus extraverti : on va davantage regarder le monde. Et c’est la crise en Ukraine qui nous y invite. Nous avons passé cinq années à nous regarder, la crise nous a poussés à l’introversion. Peut-être que ce que Vladimir Poutine est en train de nous rappeler qu’il va falloir à nouveau regarder le monde qui a continué à tourner malgré la crise.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Yves Bertoncini est Directeur de Notre Europe-Institut Jacques Delors depuis avril 2011. Il est administrateur de la Commission européenne, où il a travaillé au sein des Directions générales « Education, Formation, Jeunesse » et « Politique Régionale ». Il a travaillé dans les services du Premier Ministre français en tant que chargé de mission « Europe » au Centre d’analyse stratégique (2006-2009) et comme Conseiller auprès du Secrétaire général des Affaires européennes (2010-2011).

Il a également travaillé pour le Ministère français des Affaires étrangères et européennes, pour l’organisation du « dialogue national pour l’Europe » (1995-1997) et à l’ambassade de France à Alger (1992-1993). Il enseigne ou a enseigné les questions européennes au Corps des Mines (Mines Paris Tech), à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris (2001-2011) et à l’Ecole nationale d’administration (2007-2009).

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