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Européennes: le FN, premier parti de France? Pas vraiment…

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Pour Marine Le Pen, le résultat des élections européennes est « une première étape », que l’exécutif doit plus que jamais prendre au sérieux. Force est de constater que le Front national a progressé sur l’ensemble du territoire. Le parti pourra donc bénéficier de près de 25 représentants au Parlement européen.

JOL Press : Quelles leçons tirer d’un tel scrutin qui a placé le Front national en tête ?

Christian Delporte : Ce scrutin confirme que le Front national est inscrit dans la vie politique française. Mais le plus impressionnant, ce n’est pas le score du FN puisque, par rapport au scrutin précédent, le Front national a perdu des voix – il est passé de six millions de voix à un peu plus de quatre millions – ce qui est important, c’est que le Front national est représenté partout. Florian Philippot a déclaré qu’il n’y avait plus de tâches blanches, c’est une donnée claire qui se constate dans toutes les circonscriptions.

Pour autant, il ne faut pas surévaluer le score du Front national dans des élections comme les élections européennes. Il faut bien se rappeler qu’il ne s’agit pas d’une élection nationale, les données ne sont pas les mêmes. Dans des élections comme celles-ci, dans le contexte français, le vote de contestation se cristallise sur le Front national. Certains électeurs qui auraient peut-être voté ailleurs se sont dit qu’ils prenaient peu de risques en votant FN mais qu’ils adressaient un très fort avertissement au gouvernement ainsi qu’à tous les partis de gouvernement. Il se trouve que les électeurs qui se sont le plus prononcés sur les questions nationales sont les électeurs du FN.

JOL Press : Quelles sont, selon vous, les principales causes d’un tel résultat ?

Christian Delporte : On prend conscience – et je le dis depuis longtemps – que le Front national n’est pas un accident historique. L’extrême droite en France est une donnée de la vie politique qui resurgit en temps de crise. Ce n’est pas la première fois qu’on parle de séisme avec un score du Front national, il ne faut pas oublier 2002. Le gros séisme c’était l’élection présidentielle, avec un Le Pen au second tour.

Il n’y a pas une principale cause mais deux défiances se joignent : une défiance vis-à-vis des partis de gouvernement et une défiance à l’égard de l’Europe et de son fonctionnement, l’Europe étant vue comme la principale cause de nos malheurs.

JOL Press : Le FN se vante d’être devenu le premier parti de France. Cela correspond-il à une réalité politique selon vous ?

Christian Delporte : Être le premier parti de France ne veut strictement rien dire. Est-ce le parti qui a le plus de militants, le parti qui convainc le plus d’électeurs ? Peut-on parler de premier parti de France dans des élections où 57% des Français se sont abstenus ? Pour être le premier parti de France, il faut gagner une élection nationale, il n’y a que deux élections nationales en France : la présidentielle et les législatives.

JOL Press : Peut-on dire, en revanche, que le Front national est devenu le premier parti d’opposition ?

Christian Delporte : Je ne crois pas davantage. Pour devenir le premier parti d’opposition, il faudrait avoir des relais dans le pays, il faudrait avoir des élus. Or, même après les municipales, le nombre de conseillers municipaux Front national ne correspond qu’à 1% de la totalité des conseillers municipaux. Il ne faut donc pas s’emballer, la France n’a pas basculé ce dimanche 25 mai au soir, mais il ne faut pas non plus minimiser le score du FN.

JOL Press : Quelle place occupe désormais le Front national dans le paysage politique français ?

Christian Delporte : D’un point de vue national, ce vote est la cristallisation d’un électorat inquiet, en voie de désocialisation, qui se sent abandonné. La crise qui dure depuis plusieurs années maintenant a accentué le phénomène. Le FN a été le révélateur de cette inquiétude, rien de plus.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Christian Delporte est professeur d’histoire contemporaine à l’université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines. Spécialiste de l’histoire des médias et de la communication politique, il est l’auteur de nombreux ouvrages, parmi lesquels La France dans les yeux (Flammarion, 2007), Une histoire de la langue de bois (Flammarion, 2009) et Come back (Flammarion, 2014).

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