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Louvre Abu Dhabi: l’ambition universelle d’un musée sans tabou

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JOL Press : Quelle est l’ambition de l’exposition « Louvre Abu Dhabi : Naissance d’un musée » pour le public français et pour la France plus largement ?
 

Laurence des Cars : L’idée derrière cette exposition, c’est de présenter à Paris le projet du Louvre Abu Dhabi au public français et international du Louvre, dans sa réalité architecturale et culturelle. Il y a une présentation de la maquette et des images du projet qui est en train d’être construit à Abu Dhabi, de même que l’explication du contexte historique et archéologique des Émirats arabes unis, pays trop peu connu des Français.

Le cœur de l’exposition est évidemment une collection de 160 œuvres acquises pour le Louvre Abu Dhabi qui ouvrira fin 2015. Ce n’est donc pas toute la collection, mais un choix que nous avons fait pour construire un parcours chronologique, allant des périodes les plus anciennes, avec des œuvres archéologiques, jusqu’à l’art contemporain.

Nous avons souhaité rester fidèles à l’esprit universel du projet, en montrant les concomitances de ces expressions artistiques et des grands phénomènes de civilisation à travers le temps et l’espace, et ménager quelques points de dialogue (formels et iconographiques) pour montrer l’ambition universelle qu’est celle du Louvre Abu Dhabi. Le projet, signé il y a sept ans entre les Émirats arabes unis et la France, est en effet un musée destiné à accueillir potentiellement toutes les civilisations et toutes les cultures, sans aucune forme de censure ou d’exclusion.

JOL Press : Comment s’est déroulée la sélection des œuvres présentées dans cette exposition ?
 

Laurence des Cars : Le processus d’acquisition des œuvres s’est fait à un très haut niveau pour plusieurs raisons : c’est un grand projet international, c’est aussi la construction d’un patrimoine et d’une collection nationale pour les Émirats arabes unis, et ce musée va porter le nom du Louvre.

Il faut donc que la collection soit la hauteur de son nom, d’autant plus que cette collection sera, à l’ouverture du musée et pendant dix ans, en dialogue avec les œuvres prêtées par les musées français. Il n’était donc pas question que le Louvre Abu Dhabi se retrouve avec une collection de « seconde catégorie », qui risquait d’être « écrasée » par les prêts français. L’exigence était grande.

Un très grand soin a bien entendu été apporté à la qualité et à la beauté des œuvres, à leur pouvoir d’expression d’un moment de civilisation et de création artistique. Une attention particulière a également été apportée à l’historique et à la provenance de ces œuvres – enjeux importants, notamment pour les œuvres archéologiques. Le travail de conseil de la France a été particulièrement exigeant et a essayé de porter cette collection à un vrai niveau muséal.

JOL Press : La question d’aborder la nudité et la religion dans la collection du futur musée avait fait polémique en 2007. Pourtant, on découvre bien dans l’exposition des nus et des œuvres religieuses…
 

Laurence des Cars : Parmi les moments forts de cette exposition, on trouve en effet plusieurs œuvres phares tournant autour de la nudité et de la religion, sujets qui avaient suscité une petite polémique lors de la signature de l’accord entre la France et les Émirats arabes unis il y a sept ans.

L’exposition est là pour prouver que ces aspects n’ont pas fait l’objet de censure. Il y a par exemple toute une galerie – correspondant plus ou moins à la période médiévale en Occident – consacrée au rapport au divin. Cela va d’œuvres très incarnées et humanisées, comme cette pièce spectaculaire d’un grand Christ bavarois du XVème siècle qui montre ses plaies, cœur de l’incarnation chrétienne du sacré, jusqu’au déploiement d’une torah yéménite datant du XIVème siècle, présentée à côté d’une bible gothique et d’un coran mamelouk.

Nous exposons la collection nationale d’un jeune État arabe : cette tolérance et cet esprit d’ouverture, qui permet de montrer côte à côte les trois religions du Livre, est évidemment un point de démonstration extrêmement fort de l’esprit universel qui doit animer le Louvre Abu Dhabi.

JOL Press : Quelles autres pièces maîtresses les visiteurs pourront-ils découvrir au fil de l’exposition ?
 

Laurence des Cars : Il y a des œuvres issues d’autres domaines d’expression artistique, comme un très beau décor parisien du XVIIème siècle, qui illustre un moment de civilisation et de création artistique.

Nous avons aussi de beaux ensembles de peintures classiques, mais aussi modernes : les visiteurs verront deux Manet, un Gauguin, un Mondrian qui appartenait à Yves Saint-Laurent – première pièce achetée pour la collection, lors de la vente Bergé-YSL en février 2009 – mais également un Picasso inédit et un Magritte majeur, pour ne prendre que les plus connus.

Une grande attention est donnée aux arts décoratifs en général : c’est pour nous un des points de passage et de contact des civilisations, qui montre que les techniques et les artistes eux-mêmes ont voyagé dans l’espace. Les objets sont souvent les témoins d’influences et de techniques croisées. La collection présentée est donc pluri-technique, universelle, et cela donne un ensemble riche.

JOL Press : Quel est l’enjeu du projet du Louvre Abu Dhabi pour les Émirats arabes unis ?
 

Laurence des Cars : Je ne peux évidemment pas répondre à la place des Émirats arabes unis, mais on peut dire qu’il y a une vraie vision politique des dirigeants émiriens, à savoir la construction d’une jeune nation, qui passe notamment par une priorité accordée aux questions d’éducation et de culture, d’où les grands projets de musées sur Saadiyat Island – le Louvre sera le premier des trois musées à ouvrir sur l’île, signe de reconnaissance de la maturité du projet.

Il faut aussi associer ces projets à la venue de grandes universités internationales à Abu Dhabi comme la Sorbonne, implantée depuis plusieurs années là-bas et qui propose un programme de formation des futurs professionnels des musées. Le pays fait le pari de l’éducation et de la culture pour construire certainement ce qui constitue un « après pétrole » pour ces pays du Golfe…

JOL Press : À quoi ressemblera le Louvre Abu Dhabi lors de son inauguration en 2015 ?
 

Laurence des Cars : Il ressemblera au magnifique projet de l’architecte Jean Nouvel avec le dôme qui recouvre ce « musée-ville », un peu à l’image d’un monde qui se rencontre, dans ce carrefour entre Orient et Occident qu’est la péninsule arabique. Le symbole est très fort.

Il ressemblera à une ambition muséale sans précédent, celle d’avoir constitué une collection à partir de zéro – les premiers achats datent de 2009 – et de mettre en résonnance ces œuvres avec les prêts des collections françaises qui seront en rotation pendant dix ans. C’est un dispositif muséal inédit qui doit renouveler constamment l’intérêt des visiteurs et voyageurs pour le Louvre Abu Dhabi.

C’est enfin une manière extrêmement originale d’envisager un projet de musée : le Louvre Abu Dhabi est à ma connaissance le seul projet de musée né d’un accord diplomatique entre deux États souverains. C’est vraiment un geste d’engagement extrêmement fort de la part des deux pays et cette collection est là pour témoigner de la volonté des deux pays d’aller au bout de l’accord signé en 2007.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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Laurence des Cars est conservatrice du patrimoine et historienne de l’art. Directrice du musée de l’Orangerie, elle est co-commissaire de l’exposition « Naissance d’un musée – Louvre Abu Dhabi » au Louvre du 2 mai au 28 juillet 2014.

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