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Turquie: «La tournure autoritaire d’Erdoğan est vivement dénoncée»

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Place Taksim à Istanbul, lieu emblématique du mouvement contestataire qui a éclaté l’année dernière en Turquie – Photo DR Shutterstock

JOL Press: Lors du 1er mai, des milliers de personnes se sont rassemblées sur la place Taksim pour exprimer leur colère contre le gouvernement turc : pensez-vous que la fronde contre Recep Tayyip Erdoğan pourrait prendre un nouveau souffle, un mois après sa victoire aux élections municipales ? 
 

Bayram Balci :  Je ne pense pas. Chaque année le 1er mai  est un moment fort d’affrontement entre divers groupes de contestation et les forces de l’ordre gouvernementales. Il  n’y a rien de nouveau dans ce rassemblement de colère. Le Premier ministre turc, malgré ses tendances autoritaires et les affaires de corruption qui l’ont éclaboussé – lui et ses proches ministres – en décembre 2013, est sorti très renforcé des élections locales du 30 mars dernier. Ces élections ont pris une tournure de référendum voire de plébiscite pour le chef du gouvernement : arrivé largement en tête au plan national, son partir a remporté une victoire qui a renforcé le pouvoir personnel de M. Erdogan.

JOL Press: Un an après la contestation, que reste-t-il du mouvement « Gezi Park protest » ? Qu’a-t-il permis de faire évoluer dans la société turque ?
 

Bayram Balci : L’apport du « Gezi Park protest » est considérable à la société civile et même à la vie politique turque. Certes le pouvoir est toujours en place, mais ce mouvement de protestation représente tout de même une sorte de pont de rupture dans la vie politique turque. Il montre qu’une nouvelle forme d’opposition est née, non partisane mais plus représentative de la société turque. Le pouvoir ne le montre pas mais il craint cette nouvelle forme de protestation. A mon avis, les autorités turques en tiendront de plus en plus compte dans leur façon de gérer le pays.

JOL Press: Que reprochent les manifestants à Recep Tayyip Erdoğan ?
 

Bayram Balci : Plusieurs choses lui sont reprochées. Premièrement, sa façon autoritaire de gérer le pays, et ce même si le gouvernement a été amené au pouvoir de manière légale et démocratique, dans le cadre d’élections globalement transparentes. La tournure autoritaire du Premier ministre est vivement dénoncée : notamment cette volonté de s’immiscer dans la vie privée des gens et cette pression de plus en plus forte contre les médias et la presse que les manifestants ne supportent plus.

De manière globale, je dirais que le Premier ministre a une conception majoritaire de la démocratie, c’est-à-dire qu’il se sent tout permis par ce qu’il a gagné les élections. Or la société turque demande une autre forme de démocratie, qui tienne compte des minorités, ethniques, religieuses, sexuelles, politiques, philosophiques. C’est le grand malentendu. Erdoğan est persuadé d’être un grand démocrate parce que les urnes lui donnent constamment des victoires éclatantes, mais la société turque est devenue trop complexe et ne peut plus être satisfaite par une démocratie majoritaire et électorale. Elle cherche une nouvelle forme de démocratie qui respecte aussi les minorités qui pensent différemment que la majorité qui a amené le gouvernement.

Propos recueillis par Louise Michel D. pour JOL Press

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Bayram Balci, diplômé en science politique et civilisation arabo-islamique des Sciences Po Grenoble et Aix en Provence est chercheur au CERI et au CNRS.

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