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Ukraine: face à la menace russe, un déploiement à l’est de l’OTAN?

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JOL Press : Via le Général Breedlove, l’Otan a affirmé que la Russie n’est plus vue aujourd’hui comme un partenaire. Nouvelle dynamique, nouvelle stratégie et nouveaux budgets revus à la hausse pour les pays membres de l’Alliance ?
 

Philippe Migault : Il faut d’abord cesser l’hypocrisie. La Russie n’a jamais été vue comme un partenaire par l’Otan. Toutes les tentatives de négociations ayant eu lieu à propos des dossiers les plus sensibles, je pense notamment au projet de bouclier antimissiles américain en Europe, ont échoué, compte tenu de l’intransigeance de l’Alliance et des Etats-Unis, cela malgré la bonne volonté exprimée à plusieurs reprises par la France au sein de l’Otan vis à vis de la Russie, et malgré les vraies offres de coopération faites par cette dernière.

Du point de vue américain, on souhaite bien entendu insuffler une nouvelle dynamique à une organisation moribonde. Soyons clairs : depuis 1991 et la fin de l’URSS, l’Otan n’a plus d’autre raison d’exister que la volonté d’influence américaine en Europe. Alors que l’Iran semble devoir se normaliser, le dossier ukrainien tombe donc à point pour réinventer un ennemi qui faisait défaut. Pour autant cette dynamique nouvelle, ardemment désirée par la Maison Blanche et leurs alliés européens d’Europe nordique et orientale, est loin d’être engagée.

D’une part parce que de nombreux Etats européens et, en premier lieu, l’Allemagne, mais aussi les Etats du sud (Espagne, Italie, Grèce…), n’ont aucune envie de relancer l’Otan en désignant la Russie comme adversaire.

D’autre part parce que si les Américains veulent pérenniser l’Alliance, ils ne sont plus prêts à jouer le rôle de principal bailleur de fonds qu’ils ont joué jusque-là. Ils souhaitent maintenir leur leadership sur la défense européenne tout en demandant aux Européens de prendre le relais financièrement. Or les Européens n’en ont ni les moyens, ni l’envie. Ils ne sont pas assez stupides pour réanimer une Otan dont le Pentagone garderait le commandement mais dont les Européens paieraient l’équipement (acheté aux Etats-Unis bien sûr), la formation et l’entretien de troupes nombreuses et lourdement armées, tout cela dans l’hypothèse d’une guerre que nul ne souhaite à Moscou, Berlin ou Paris.

Dans ces conditions, autant bâtir notre propre instrument de défense et sortir de l’Otan. Ce serait bénéfique aux Français et aux Européens, tant du point de vue de la souveraineté et de leur autonomie stratégique que du point de vue de leur industrie de défense, très concurrencée sur leur marché domestique par les entreprises américaines.

JOL Press : Les déploiements actuels (avions, navires, parachutistes) participent-ils d’un simple « round d’observation », ou est-on déjà à l’étape supérieure ?
 

Philippe Migault : Ces moyens sont quantitativement très faibles. On est dans le renfort cosmétique et la gesticulation afin de rassurer Baltes, Polonais et Scandinaves, pas dans un processus de réelle montée en puissance du dispositif militaire.

JOL Press : Doit-on envisager une présence militaire permanente, dans l’avenir, de forces de l’Otan en Europe de l’Est, ou ces déploiements sont-ils purement temporaires ?
 

Philippe Migault : Un déploiement permanent signifierait revenir sur les promesses faites à la Russie lors de l’extension de l’Otan vers l’Est. Mais comme on avait aussi dit à Gorbatchev que l’Alliance n’avait pas vocation à dépasser la frontière orientale de l’Allemagne et que, par le biais des élargissements successifs, nous sommes maintenant à 130 kilomètres de Saint-Pétersbourg, nous n’en sommes plus à un mensonge près.

On peut donc s’attendre à des déploiements permanents en Europe orientale, ce dont les Américains rêvaient depuis longtemps, notamment dans le cadre de leur projet de bouclier antimissiles.

JOL Press : L’Ukraine est-elle la seule situation visée par l’Otan, ou l’Alliance anticipe-t-elle sur une « contamination » du conflit à d’autres pays comme la Pologne ?
 

Philippe Migault : D’abord l’Otan n’a rien à voir avec la situation ukrainienne : L’Ukraine n’est pas membre de l’Alliance et nous n’avons aucune obligation de solidarité envers les autorités actuellement au pouvoir à Kiev.

En outre, la Pologne ou les pays Baltes sont, eux, membres de l’Otan et de l’Union Européenne. S’ils devaient être attaqués – ce à quoi je ne crois pas une seule seconde – nous serions tenus, toute l’Union Européenne serait tenue, de voler à leur secours, avec à nos côtés Américains, Canadiens et Turcs : personne ne serait jamais assez fou à Moscou pour tenter le diable en pariant sur une absence de réaction de notre part. Staline n’a pas osé.

Khrouchtchev a joué les durs lors de la crise de Berlin en 1959. Lorsque l’ambassadeur soviétique a menacé le Général de Gaulle, évoquant une guerre atomique, celui-ci lui a courtoisement rétorqué : « Eh bien, Monsieur l’Ambassadeur, nous mourrons ensemble… », dans une allusion à la force de dissuasion nucléaire française en gestation.

La situation, de ce point de vue, n’a pas changé depuis la fin de la guerre froide : certes nous n’avons plus un homme d’Etat de l’envergure du général de Gaulle à l’Elysée. Mais j’ai l’espoir – ou la naïveté – de penser que si nos alliés devaient être attaqués, la France tiendrait ses engagements ; et que nous les défendrions, nous et les autres, avec tous nos moyens.

Vladimir Poutine, qui est un homme brillant, manœuvrier, sachant pertinemment jusqu’où il peut pousser son avantage et ayant des objectifs clairs mais limités, en est parfaitement conscient. Jamais il ne prendra le risque de s’en prendre à l’OTAN. Car une tolérance existe vis à vis de la diplomatie russe dans son « étranger proche », la zone d’influence traditionnelle du Kremlin, dans laquelle il conserve des intérêts vitaux. Mais cette tolérance a des limites, aisément matérialisables sur une carte : ce sont les frontières de l’Union européenne et de l’Otan. Ce sont les seules lignes rouges sur la solidité desquelles on puisse parier.

Propos recueillis par Romain de Lacoste pour JOL Press

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Philippe Migault est Directeur de recherche à l’Institut des Relations Internationales et stratégiques (IRIS). Il est spécialiste des questions de défense.

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