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Ukraine: Ioulia Timochenko, un mythe entre ombre et lumière

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Ioulia Timochenko se présente aux élections présidentielles de 2014 en Ukraine. (Crédit photo: joyfull / Shutterstock.com)

Afin de soulever le voile sur le « mythe » Ioulia Timochenko, le journaliste allemand Frank Schumann a enquêté en Ukraine pendant un an, révélant une intrication d’intérêts privés et publics de grande ampleur. Crimes non élucidés, affaires de sexe et d’argent, anciens espions du KGB : le cocktail est explosif et la figure emblématique pas si virginale…

Extrait de La Princesse du Gaz, (enquête sur Ioulia Timochenko) de Frank Schumann, Editions du moment (juin 2013) :

« Dans les années 1990, ce n’est pas une transformation qui s’est produite, mais une rupture. Le capitalisme a mis deux cents ans pour s’épanouir en Europe ; en Ukraine, apparemment, cela n’a pris que deux décennies. Les dégâts collatéraux se sont concentrés sur une courte période, et il n’y a pas que des « cadavres » le long de la route ! « Quand on rabote, les copeaux tombent », c’est ce qu’on comprend, rien qu’en lisant la vie de Ioulia Timochenko et de ses semblables.

En Allemagne, la seule biographie qui ait été écrite sur Timochenko est parue pour la première fois en 2006. Les deux auteurs, des journalistes russes qui habitent Munich, y ont tracé, avec beaucoup de finesse et de connaissance, la vie de cette lady, « mignonne, extrêmement ambitieuse et féroce ».

[image:2,s] Ils la surnomment la « Dame de fer » ou la « Jeanne d’Arc mystérieuse et charismatique », et en ont fait une héroïne révolutionnaire. Sa tresse nouée au-dessus de la tête est comparée à une auréole de sainte. Les épithètes pour la qualifier sont légion. On peut, d’ailleurs, imaginer que l’éditeur allemand a largement sa part dans le rayonnement du mythe.

Il est bien possible que ce livre explique, en partie, les jugements hautement bienveillants émis par les médias allemands, jusqu’à aujourd’hui. Aucune critique. Et quand il arrive qu’il y en ait, elles ne recueillent pas vraiment l’adhésion. Ainsi, le patron de la rubrique sportive du journal allemand Die Zeit avait interviewé sa fille, Evguenia Timochenko, en marge de la coupe d’Europe. Son attachée de presse fut présente pendant tout l’entretien et la rencontre mémorable eut lieu au QG du parti de sa mère, Bloc Ioulia Timochenko, (BJuT).

Lorsqu’en début d’interview, Steffen Dobbert demanda  innocemment à la jeune femme de trente-deux ans, diplômée de la London School of Economics and Political Science, si elle envisageait de troquer son étiquette de femme d’affaires contre celle de femme politique « comme sa mère l’avait fait avant elle », celle-ci répondit : « Votre question est une provocation ! »

Quelques lignes plus loin, le journal ajoutait : « L’attachée de presse d’Evguenia Timochenko, elle-même ancienne journaliste, interrompt l’entretien dès les premières questions. Elle ne souhaite autoriser aucune question qui n’ait un lien direct avec l’emprisonnement de la mère d’Evguenia. Elle doit révéler, en Allemagne et dans le monde entier, ce qui arrive à sa mère. »

Est-elle obligée de le faire ? Qui la pousse à le faire ? Quelles sont ses motivations ? N’y a-t-il pas d’autres personnes qui le font déjà ? Le journaliste Dobbert ne se laisse guère impressionner ; il évoque les reproches faits publiquement à sa mère : elle serait « elle-même une oligarque ». La fille répond alors : « Ma mère était une femme d’affaires, qui a gagné de l’argent, légalement ! Puis, elle est devenue une femme politique et a quitté ses affaires. »

Et ainsi de suite pour ce jeu de question-réponse. Lorsque Dobbert fait remarquer, sans prendre parti, qu’il a parlé avec beaucoup de personnes en Ukraine et que ces gens auraient émis « des avis pas vraiment positifs sur sa mère », Evguenia Timochenko réagit de façon violente : « Cela veut dire que vous n’êtes pas journaliste ; vous n’avez certainement pas fait de recherches préalables. »

Extrait publié avec l’autorisation des Editions du Moment

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Frank Schumann, journaliste de 1978 à 1991 pour un grand quotidien allemand, a créé sa maison d’édition, Ost. Ol est l’auteur de plusieurs bestsellers en 2012, dont L’homme qui voulait sauver la RDA.

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