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12 ans d’emprisonnement pour le chef de guerre congolais Germain Katanga par la CPI

Voici une nouvelle étape bienvenue dans le travail de fond effectué par la Cour pénale internationale en vue de combattre et réduire l’impunité dont bénéficient trop souvent les auteurs de crimes internationaux. Le 23 mai 2014, la Cour pénale internationale a prononcé une peine de 12 ans d’emprisonnement à l’encontre du chef de guerre congolais Germain Katanga. A également été ordonné que le temps qu’il a passé en détention pour le compte de la Cour – c’est-à-dire la période du 18 septembre 2007 au 23 mai 2014 – soit déduit de la peine prononcée.

Le prononcé de cette décision fait suite à la déclaration de culpabilité intervenue le 7 mars 2014. Ce jour-là, la Cour pénale internationale avait déclaré coupable Germain Katanga de faits de complicité de crime contre l’humanité (meurtre, commis, en connaissance de cause, dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre une population civile) et de quatre crimes de guerre (meurtre, attaque contre une population civile, destruction de biens et pillage). Rappelons que le travail du bureau du procureur de la Cour pénale internationale – et in fine celui des juges – n’est jamais facile. Seuls les faits s’étant produits à partir du 1er juillet 2002, date d’entrée en vigueur du Statut de Rome, peuvent être poursuivis devant la Cour.

D’autres conditions, tenant notamment à la gravité des crimes commis et au niveau de responsabilité des accusés, doivent être réunies. Enfin, l’accusation doit rassembler des éléments de preuve solide, difficiles à collecter dans une zone toujours instable, où victimes et témoins risquent encore leur vie. Les faits à l’origine de cette condamnation ont été commis en 2003 en République démocratique du Congo, plus précisément en Ituri, un district de la Province orientale, situé au Nord-Est du pays. La guerre en Ituri, commencée en 1999, a connu un pic de violence en 2002-2003 et s’est poursuivie jusqu’en 2008. Elle a fait environ 60 000 morts et un demi-million de déplacés, donnant lieu à des assassinats de civils, des viols massifs, des pillages et des destructions de biens civils.

Quatre chefs de guerre présentés à la Cour pénale internationale, mais des sorts distincts

En 2002 et 2003, le conflit a notamment opposé des groupes ethniques, les Hema et les Ngiti, de type Tutsi, et les Lendu, de type Bantu, pour le contrôle des terres agricoles et des ressources minières d’Ituri. Les Lendu et les Ngiti s’étaient organisés en groupe armés, avec le Front de résistance patriotique en Ituri (FRPI) de Germain Katanga et le Front des nationalistes et intégrationnistes (FNI) de Mathieu Ngudjolo Chui. Les Hema s’étaient aussi organisés en milices, avec l’Union des Patriotes Congolais (UPC), et sa branche armée, les Forces patriotiques pour la libération du Congo (FPLC), commandée par Thomas Lubanga et Bosco Ntaganda.

Ces quatre chefs de guerre ont finalement tous été présentés à la Cour pénale internationale mais ont connu des sorts distincts. Le 14 mars 2012, Thomas Lubanga a été déclaré coupable par la Cour de crimes de guerre, consistant à avoir procédé à l’enrôlement et à la conscription d’enfants de moins de 15 ans et à les avoir fait participer activement à des hostilités. Le 10 juillet 2012, une peine de 14 ans d’emprisonnement a été prononcée à son encontre. Après avoir été en fuite pendant des années, Bosco Ntaganda, son adjoint lors des faits, s’est finalement rendu à la Cour pénale internationale volontairement le 22 mars 2013. Son procès n’a pas encore commencé.

Germain Katanga a été poursuivi, en sa qualité de commandant du FRPI, uniquement pour des faits commis le 24 février 2003 dans le village à population Hema de Bogoro. Les troupes de la milice Ngiti avaient attaqué le village au petit matin et pillé, violé des femmes et tué 200 civils environ (dont soixante identifiés avec certitude mais « de nombreuses autres victimes » ont été recensées, affirmeront les juges). Certaines victimes ont été brûlées vives. Selon le bureau du procureur, l’attaque du 24 février 2003 ne visait pas uniquement le camp militaire mais également la population civile du village. Le but était de prendre le contrôle de la route voisine pour faciliter l’acheminement de marchandises.

Germain Katanga, acquitté de cinq chefs d’accusation

Une enquête sur ces faits a été ouverte par le procureur de la Cour pénale internationale le 21 juin 2004, aboutissant le 2 juillet 2007 à la délivrance de mandats d’arrêts par la chambre préliminaire à son encontre et contre Mathieu Ngudjolo Chui, à son arrestation puis son transfert au centre de détention de la Cour à La Haye le 17 octobre 2007. Un procès s’est engagé le 24 novembre 2009, présidé par le juge français Bruno Cotte, avec le souci constant d’en limiter la durée. Le procès de Germain Katanga s’est tenu en concomitance avec celui de Mathieu Ngudjolo Chui. Une disjonction a finalement été décidée et Mathieu Ngudjolo Chui acquitté le 18 décembre 2012, faute de preuves suffisantes. Le procès en appel contre cette décision est en cours.

Le jugement rendu le 7 mars 2014 – le deuxième dans l’histoire de la Cour pénale internationale à déclarer coupable un accusé après celui de 2012 rendu à l’encontre de Thomas Lubanga – est intéressant pour au moins trois raisons. En premier lieu, Germain Katanga a été acquitté de cinq chefs d’accusation, notamment de viol et de réduction en esclavage sexuel constitutifs de crime contre l’humanité et de crime de guerre, et d’utilisation d’enfants soldats âgés de moins de 15 ans prenant directement part aux hostilités, en tant que crime de guerre.

La Cour a considéré que ces crimes avaient bien été commis mais qu’ils ne pouvaient être imputés à Germain Katanga au regard des pouvoirs qui étaient les siens au moment des faits. En second lieu, la Cour a procédé à une requalification du mode de responsabilité de Germain Katanga. Il était poursuivi en qualité de coauteur principal. Or d’après les juges, il n’a pas été démontré par l’accusation qu’il avait la capacité matérielle, à l’échelle du groupe armé du FRPI, de donner des ordres aux troupes, de garantir l’exécution des ordres donnés ou de sanctionner disciplinairement les commandants de différents camps. Il ne pouvait pas avoir été effectivement chargé de l’attaque du village de Bogoro.

La Chambre n’a donc retenu sa responsabilité pénale qu’en tant que complice en raison de sa contribution intentionnelle à la commission des crimes par un groupe de personnes agissant de concert. En dernier lieu, la Cour pénale internationale a considéré qu’il était établi, au-delà de tout doute raisonnable, que Germain Katanga avait contribué de manière significative à la commission des crimes (meurtre, attaque contre une population civile, destruction de biens et pillage) par la milice Ngiti en aidant ses membres à mettre en place l’opération qui devait être lancée contre Bogoro.

Il a « contribué, grâce à la position qu’il occupait à Aveba, seule localité de la collectivité disposant d’un aéroport apte à recevoir des appareils transportant des armes, à équiper cette milice et à lui permettre de fonctionner de manière organisée et efficace ». Le jugement relève que pendant toute la période l’attaque, il avait été « l’intermédiaire privilégié entre les fournisseurs d’armes et de munitions et les auteurs matériels des crimes qui feront usage de cet armement à Bogoro », renforçant ainsi les capacités de frappe de la milice Ngiti et lui assurant une supériorité militaire.

Agissements en toute connaissance de cause

D’après la Cour, l’ex-milicien a eu un rôle « significatif » en fournissant des armes : « sans cet important apport d’armes, à l’échelle de la communauté Ngiti et sans la contribution qui fut celle de l’accusé en organisant et en facilitant cet approvisionnement en armes sur le plan local, les commandants et les combattants de la collectivité de Walendu-Bindi n’auraient pas disposé des mêmes atouts ni pu commettre, avec autant d’efficacité, les crimes qui ont été perpétrés à Bogoro contre la population civile Hema ».

Voilà pour l’élément matériel. Quant à l’élément moral, il ressort du fait que Germain Katanga savait « que la milice se préparait à une opération contre Bogoro », « que les armes et les munitions dont il facilitait la réception et la distribution seraient utilisées par les combattants au cours de cette attaque », et « que les combattants Ngiti de Walendu-Bindi s’en étaient déjà violemment pris à la population civile ». Il avait agi ainsi tout en ayant connaissance du dessein commun de nature criminelle, élaboré par la milice, à l’encontre de la population principalement Hema du village visé.

Le raisonnement suivi par la Cour pénale internationale pour retenir la complicité de crimes de guerre et de crime contre l’humanité est de nature à faire réfléchir sérieusement tous les professionnels qui fournissent un appui à des armées ou à des groupes armés dont il est établi qu’ils commettent des violations du droit international humanitaire. Il s’inscrit ainsi dans la lignée de la jurisprudence internationale qui considère que l’aide ou l’assistance, même par la simple fourniture de moyens – y compris matériels ou financiers -, aux auteurs de ces violations constitue un acte de complicité de crimes internationaux (Tribunal spécial pour la Sierra Leone, Jugements Charles Taylor des 16 mars 2006 et 26 avril 2012).

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