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Abbas et Peres au Vatican: le pape, «médiateur» du Proche-Orient?

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Le 8 juin 2014, le président israélien Shimon Peres (à gauche) se rend au Vatican avec le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas (à droite) pour prier pour la paix avec le pape François. (Crédit photos: ChameleonsEye / Giulio Napolitano / Mikhail / Shutterstock.com)

JOL Press : Que cherche le pape François en invitant Shimon Peres et Mahmoud Abbas au Vatican dimanche ?
 

Manlio Graziano : Il est difficile d’avoir une idée claire de l’impact de ces gestes qui font un peu toute la vie politique de l’Église catholique. Il est clair que l’Église a des intérêts en jeu au Moyen-Orient. Un de ses intérêts fondamentaux est celui d’essayer de garantir la présence et la survie de la communauté chrétienne sur place.

En invitant Shimon Peres et Mahmoud Abbas, le Vatican cherche des alliés, des sortes de « relais » locaux, des personnes avec qui il peut dialoguer pour soutenir les chrétiens d’Orient. Il a vraiment besoin d’appuis, quels qu’ils soient. Même une autorité exclusivement morale comme le président israélien Shimon Peres peut lui être utile.

JOL Press : Le pape a précisé qu’il s’agissait seulement d’une prière pour la paix et non d’une médiation. A-t-il tout de même la possibilité d’intervenir dans le conflit ?
 

Manlio Graziano : Personne ne se fait d’illusions sur ce point-là : ni le Vatican, ni la Palestine, ni Israël. Certains commentateurs tendent à souligner l’aspect diplomatique de cette rencontre. Je suis plutôt sceptique, car l’invitation est déséquilibrée : si Shimon Peres et Mahmoud Abbas sont tous les deux présidents, cela ne signifie pas qu’ils ont le même rôle politique.

Le président israélien n’a aucun poids politique par exemple, contrairement au président de l’Autorité palestinienne. Shimon Peres est une figure assez représentative : parmi les hommes politiques israéliens, c’est le seul qui représente toute l’histoire d’Israël. Au-delà de ça, il n’a aucun pouvoir réel. De son point de vue, Shimon Peres a cependant tout intérêt à opérer une grande « sortie de scène » – son mandat s’achève en juillet – en laissant le souvenir d’un homme qui a essayé de trouver une solution au problème israélo-palestinien. En réalité, il n’a aucune possibilité de le faire.

De l’autre côté, Mahmoud Abbas a un peu plus d’autorité en ce moment, vis-à-vis de la population palestinienne et du nouveau gouvernement qui vient d’être mis en place, et vis-à-vis du Hamas qui est en perte de vitesse sensible. Mais sa possibilité d’inverser la tendance actuelle des relations avec Israël me semble également plutôt mince. Le Vatican sait très bien tout cela. J’aurais donc plutôt tendance à exclure la possibilité d’une opération diplomatique qui pourrait réellement influer sur la relation entre les deux pays.

JOL Press : Est-ce la première fois qu’un chef d’État israélien et un chef d’État palestinien se rencontrent comme cela au Vatican ?
 

Manlio Graziano : À ma connaissance oui, il n’y a jamais eu de rencontres pareilles. Mais comme je l’ai dit, le président israélien n’est pas une figure politique qui compte vraiment. Le véritable « scoop » serait une rencontre, à Rome, entre le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, et le président palestinien Mahmoud Abbas. Là effectivement, il faudrait reconsidérer la chose. Mais cette hypothèse me semble, pour l’instant, bien éloignée.

JOL Press : Le pape François a multiplié les appels à la paix dans les conflits mondiaux depuis un an : pour les migrants de Lampedusa, pour la Syrie, lors de son récent voyage en Terre sainte… Peut-on parler de « réveil » de la diplomatie vaticane après le pontificat de Benoît XVI ?
 

Manlio Graziano : D’un côté, il est sûr que sous le pontificat de Benoît XVI, il y a eu un affaiblissement considérable de la diplomatie vaticane qui n’était pas l’objectif fondamental de Benoît XVI. D’ailleurs, c’était la première fois depuis un siècle que ni le pape ni le secrétaire d’État ne provenaient des rangs de la diplomatie vaticane. Cette exception a été balayée par la nomination du cardinal Pietro Parolin comme secrétaire d’État du Saint-Siège qui, lui, vient des rangs diplomatiques. Le déséquilibre a ainsi été corrigé.

D’un autre côté, le pape François ne voyage pas beaucoup, si l’on compare avec ses prédécesseurs Benoît XVI et Jean-Paul II. Cela veut-il dire qu’il fait davantage confiance à son réseau diplomatique, ce qui n’était pas le cas de Jean-Paul II ? Ou bien cela veut-il dire que le pape François est en train de se recentrer sur les affaires intérieures du Vatican, qui sont tout de même très complexes ? Les deux questions restent posées.

Concernant la politique étrangère du Vatican, le pape a en effet cette préoccupation fondamentale pour le Moyen-Orient. La Syrie est un des pays du Proche-Orient où il y a une forte communauté chrétienne. La préoccupation est d’autant plus vive après ce qui s’est passé en Irak au début des années 2000, pays dans lequel il y avait une forte communauté chrétienne – et catholique en particulier – qui a été substantiellement réduite. Le pape est également préoccupé par les relations délicates avec la communauté orthodoxe. Aujourd’hui, la recomposition du monde chrétien est sans doute le premier objectif du pape François.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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Manlio Graziano est spécialiste du Vatican et de géopolitique des religions. Il enseigne à l’American Graduate School in Paris, à la Skema Business School Paris, et à La Sorbonne – Paris IV. Il a écrit plusieurs livres, dont Identité catholique et identité italienne : L’Italie laboratoire de l’Eglise (2007) et Il secolo cattolico. La strategia geopolitica della Chiesa (2010).

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