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Accord d’association Ukraine-UE: un pas de plus vers l’adhésion?

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Le 27 juin 2014, l’Union européenne a signé le volet commercial de l’accord d’association avec l’Ukraine, après avoir signé le volet politique au mois de mars. (Crédit photo: PromesaArtStudio / Shutterstock.com)

C’est un « jour historique » pour l’Ukraine, le « plus important depuis son indépendance » en 1991, a déclaré le président ukrainien récemment élu, Petro Porochenko, à l’issue de la signature, vendredi 27 juin, de l’accord d’association avec l’Union européenne, malgré les pressions de la Russie.

JOL Press : Que va changer l’accord d’association signé avec l’Union européenne pour l’Ukraine, la Géorgie et la Moldavie ?
 

Florent Parmentier : Pour l’Ukraine, qui vient de signer le volet commercial de cet accord d’association – le volet politique a été signé en mars – les implications sont d’ordre économique : la grande idée de ces accords de libre-échange approfondis et complets n’est pas tant la négociation d’une baisse des tarifs douaniers, qui sont plutôt bas aujourd’hui, mais plutôt de donner à l’Ukraine l’opportunité d’effectuer un certain nombre de réformes internes.

Celles-ci doivent notamment amener l’Ukraine à avoir un meilleur climat d’investissement et une baisse générale du niveau de corruption. Le gros changement sera donc, pour les acteurs économiques ukrainiens, l’obligation de reprendre une bonne partie de la législation européenne, ce qui leur permettra de s’intégrer au sein du grand marché européen.

Pour la Moldavie et la Géorgie, à cela s’ajoute une confirmation de leur orientation européenne. Les deux pays signent en effet à la fois un rapprochement politique et économique avec l’UE.

JOL Press : Que va devoir faire l’Ukraine en contrepartie de cet accord ?
 

Florent Parmentier : L’Ukraine va devoir entamer un énorme travail de réformes internes. Par exemple, dans le domaine agricole, à l’heure actuelle, les normes sanitaires pour l’exportation de viande bovine sont très nombreuses, pour plusieurs raisons : il y a des besoins de certification, de vérification de la qualité des produits, etc.

L’Ukraine devra également faire en sorte que les contrôles valables au niveau de l’Union européenne le soient aussi en Ukraine. Elle devra donc par exemple avoir des institutions qui puissent garantir l’origine de la viande, la manière dont elle a été faite, etc. Les institutions ukrainiennes vont devoir s’adapter.

Cela sera aussi le cas pour les douanes, qui sont assez corrompues en Ukraine. Les douaniers ukrainiens vont devoir finalement appliquer un certain nombre de règles valables au niveau européen et que l’UE tente d’exporter à travers son accord d’association.

JOL Press : Quelles répercussions cet accord pourrait-il avoir sur les relations entre ces pays et la Russie ?
 

Florent Parmentier : Officiellement, deux sons de cloche circulent en Russie : le premier consiste à dire qu’après tout, l’Ukraine, la Géorgie et la Moldavie sont des États souverains qui font donc ce qu’ils veulent. Le deuxième, qui émane de plusieurs membres de l’administration russe, consiste à dire que même si chacun est libre de signer ce qu’il veut, les conséquences peuvent être graves.

La signature de cet accord pourra accroître les tensions en Gagaouzie, région autonome au sein de la Moldavie. Cela pourra également déstabiliser plus fortement la Transnistrie [située entre la Moldavie et l’Ukraine] sans aller nécessairement jusqu’à la reconnaissance de l’indépendance de cet État. Ces derniers mois, les dirigeants transnistriens, et notamment le président, ont avoué assez clairement dans la presse qu’il était temps de réfléchir à un « divorce civilisé » avec la Moldavie.

On peut également s’attendre à des effets sur la campagne électorale en Moldavie, sachant qu’il y aura des élections parlementaires cet automne et que ces élections peuvent, là aussi, avoir des répercussions sur la manière dont sera appliqué l’accord.

En ce qui concerne l’Ukraine, la situation est proche d’une guerre civile et la question du séparatisme prime aujourd’hui. Se pose également la question du Parlement : le président, élu dès le premier tour du scrutin, va ratifier cet accord d’association avec les mêmes députés qui étaient présents sous l’ancien président Ianoukovitch [proche de Moscou et qui avait refusé de signer l’accord d’association, ndlr]. Il aurait été préférable d’avoir des élections législatives qui accompagnent les élections présidentielles.

Cependant, il faut reconnaître qu’institutionnellement, le président ukrainien n’a pas les moyens de dissoudre le Parlement ukrainien : il doit s’entendre avec des factions déjà élues. L’accord d’association a ainsi été signé, mais à un certain prix, puisque la Crimée a été perdue, l’alternance politique s’est faite dans des conditions difficiles, et plusieurs centaines de personnes sont mortes dans les événements que l’on a observés depuis le report de la signature de l’accord d’association.

JOL Press : Cet accord d’association va permettre un rapprochement clair entre les trois États signataires et l’Union européenne. Va-t-on pour autant vers une adhésion de ces pays à l’UE ?
 

Florent Parmentier : L’accord d’association doit avant tout être un outil de rapprochement. Pour l’instant, la balle est dans le camp des Ukrainiens, des Moldaves et des Géorgiens : c’est sur leurs mérites propres et sur leurs capacités à adopter des réformes mais aussi à les mettre en œuvre – ce qui est plus compliqué – que le rapprochement européen se fera. En clair, l’UE a fait son travail de rapprochement en proposant cet accord d’association, mais c’est aux pays de « prendre la balle au bond ».

Quant à la perspective d’une adhésion dans les prochaines années, je pense que la réponse est non, pour plusieurs raisons. La première, c’est que la priorité est plutôt donnée aux pays des Balkans, au sein de l’Europe du Sud-Est, qui ont eu la reconnaissance du principe d’adhésion dès 2003 lors du Sommet de Thessalonique.

Deuxième raison : les trois États signataires ont encore des problèmes territoriaux. La Moldavie ne contrôle plus la Transnistrie, l’Ukraine ne contrôle plus la Crimée et la Géorgie a perdu, depuis 2008, l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie. Ils ont donc des problèmes frontaliers à gérer avec la Russie, ce qui est un facteur bloquant.

Troisième raison : les Européens eux-mêmes ne sont pas très désireux de poursuivre la voie de l’élargissement. On l’a vu au sein des opinions publiques européennes lors des dernières élections – c’était déjà vrai en France et aux Pays Bas en 2005, au moment du référendum – mais aussi il y a quelques mois en Grande Bretagne. Elle qui était plutôt accueillante, on a vu qu’elle a eu une réaction plutôt négative face à la possibilité de la venue d’un certain nombre de travailleurs bulgares et roumains dans l’Union européenne.

Pour qu’un État qui était plutôt pro-élargissement soit aujourd’hui beaucoup plus sceptique par rapport à l’arrivée de nouveaux entrants dans l’UE, cela témoigne d’une atmosphère générale au sein de l’Union européenne qui ne va pas dans le sens de proposer un accord d’adhésion à l’UE. D’autant plus que le coût de cet élargissement serait extrêmement élevé, pour les Européens mais également pour les pays concernés, notamment en termes d’adaptation.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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Florent Parmentier est docteur en science politique et enseignant à Sciences-Po Paris où il dirige la filière énergie du Master Affaires Publiques. Ses intérêts de recherche incluent la Moldavie, l’étude de la « grande Europe » (notamment les pays du Partenariat oriental) et la politique énergétique européenne. Il est l’auteur de Les chemins de l’État de droit, la voie étroite des pays entre Europe et Russie, Presses de Sciences Po, Paris, à paraître le 28 août 2014.

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