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Du G8 au G7: avec ou sans la Russie, des sommets pour rien?

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La Russie, représentée par le président Vladimir Poutine, a été exclue du G8 en mars 2014 après avoir annexé la Crimée. (Crédit photo: Mark III Photonics / Shutterstock.com)

JOL Press : Les pays membres du G7 se réunissent demain à Bruxelles. Une réunion qui aurait dû se tenir à Sotchi avec la Russie… Que perd la Russie du fait de son exclusion du groupe ?
 

Bertrand Badie : En fait elle ne perd pas grand-chose, dans la mesure où ces groupes se caractérisent par une faible capacité de cohésion interne et de prises de décisions concrètes sur le cours des événements internationaux. La Russie en tire même, d’une certaine façon, une double image qui peut arranger sa diplomatie : celle de la victime, de l’exclue et de l’isolée, et celle qu’elle envoie aux pays mal intégrés dans le système international, c’est-à-dire une sorte de message de complicité et d’association avec eux.

La maladresse de l’exclusion de la Russie tient au fait que le principal aspect positif du G7/G8 est de pouvoir intégrer les différences et d’être un forum de discussions lorsqu’il y a des sujets d’opposition qui séparent les membres du groupe. À partir du moment où l’on exclut celui avec lequel on n’est pas d’accord, c’est évidemment le groupe lui-même qui se trouve affaibli et amoindri dans sa signification.

JOL Press : Le G8 est-il définitivement « mort » ou peut-on attendre qu’il se reforme un jour avec la Russie ?
 

Bertrand Badie : On ne peut jamais dire d’un groupe qui par définition est informel, que le départ ou l’exclusion d’un de ses membres a quelque chose d’irréversible ou de définitif. Ces groupes ne sont en effet structurés autour d’aucune institution durable.

Le danger que je vois dans cette exclusion, c’est d’avoir créé un précédent, c’est-à-dire qu’elle envoie comme signal le fait que dès lors qu’on atteint un certain niveau de désaccord, on ne peut plus fonctionner à l’intérieur de ce groupe, et ce dernier perd donc sa vocation de conciliation, de rapprochement, ou d’effort en vue de procéder à un rapprochement des points de vue.

JOL Press : Le sommet du G7 sera l’occasion pour les pays membres d’évoquer la crise ukrainienne. Alors que la Russie est partie prenante du conflit, son absence rend-elle utiles ces discussions ?
 

Bertrand Badie : Le G8 redevenu G7 perd en pertinence dans la mesure où il pouvait être un lieu non seulement de débats, mais peut-être aussi de rapprochement, et il n’est plus qu’un lieu où se retrouvent des États et des gouvernements qui sont fondamentalement d’accord entre eux.

Il y a là une contradiction gigantesque : la diplomatie est faite pour gérer et amoindrir les séparations qui distinguent les acteurs les uns des autres. Or dans cette situation-là, la diplomatie n’apparaît plus que comme un moment où de bons amis prennent le thé ensemble pour constater l’homogénéité de leurs points de vue…

JOL Press : Le G7/G8 est régulièrement critiqué par les mouvements altermondialistes. Doit-on craindre encore une fois des mouvements d’opposition et pourquoi est-il si impopulaire ?
 

Bertrand Badie : Ce qui me frappe d’abord, c’est que lorsqu’on lit la presse, ses commentaires et ses analyses sur le G7 qui a lieu mercredi à Bruxelles, on parle davantage des restrictions à la circulation et des problèmes posés pour la capitale belge que du fond des sujets abordés…

Cela montre qu’effectivement, le G7 est devenu davantage une machine à provoquer de la contestation qu’à véritablement prendre de vraies décisions. On attend toujours de vraies décisions dans les domaines les plus sensibles : celui des parités monétaires, celui de la réforme des grandes institutions et en particulier du FMI, et on ne voit rien venir.

De même, on constate que depuis un certain temps, le G20, destiné à ouvrir le G7 aux puissances émergentes, se réunit trop longtemps après le G7 (il aura lieu à la mi-novembre à Brisbane). Tout ce qui va dans le sens de l’ouverture semble quelque peu suspendu aujourd’hui. On peut parier que cela amoindrira probablement l’impact que l’on aurait pu attendre d’une telle réunion internationale. Encore une fois, on peut se demander si le plus important ne sera pas finalement la photo réunissant rituellement les chefs d’État à l’issue de la tenue de ce sommet.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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Bertrand Badie est historien et politologue, spécialiste des relations internationales et de la diplomatie. Professeur des Universités à Sciences Po, il a publié de nombreux ouvrages, dont Le Diplomate et l’intrus (Fayard, 2008), La diplomatie de connivence (La Découverte, 2011), Quand l’Histoire commence (CNRS éditions, 2013) et Le Temps des humiliés (Editions O. Jacob, 2014).

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