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Journalistes condamnés en Égypte: le retour d’un régime répressif?

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JOL Press : Trois journalistes d’Al Jazeera ont été condamnés à sept ans de prison en Égypte, accusés d’avoir soutenu la cause des Frères musulmans. Comment analysez-vous cette condamnation ?
 

Antoine Basbous : C’est une justice, aux ordres du régime, et qui n’y va pas de main morte. Elle a fait de l’excès de zèle contre les représentants d’une chaîne qui a été une « arme de destruction médiatique » du régime égyptien, et qui avait soutenu ouvertement les Frères musulmans. Rappelons qu’Al Jazeera est une chaîne qatarienne, et les Qataris soutiennent les Frères musulmans et les financent. Le Caire considère les journalistes comme les représentants du Qatar.

JOL Press : Malgré le tollé international provoqué par cette décision, le président égyptien al-Sissi a déclaré qu’il ne voulait pas s’ingérer dans les affaires de la justice. Dans quelle mesure celle-ci est indépendante du pouvoir ?
 

Antoine Basbous : Théoriquement, la justice égyptienne est indépendante. D’ailleurs, il y a dix jours, le journaliste d’Al Jazeera Abdullah Elshamy, détenu depuis dix mois en Égypte et qui faisait une grève de la faim, a été libéré pour raison de santé. Toutefois, le président égyptien peut prétendre que la justice est indépendante et qu’il n’interviendra pas, tout en donnant discrètement des instructions pour alléger la peine de ces journalistes ou les libérer. Mais il ne peut pas non plus dire que c’est le pouvoir qui a ordonné à la justice d’avoir la main lourde.

JOL Press : Que reproche exactement le président al-Sissi aux Frères musulmans ?
 

Antoine Basbous : C’est une bagarre politique de longue date entre deux projets de société, deux visions de l’État, de la fonction et de la vocation de l’Égypte totalement contradictoires. Le projet des Frères musulmans est un projet islamiste, alors que le projet de l’armée dont est issu le maréchal al-Sissi est un projet nationaliste. Les deux sont donc totalement opposés.

JOL Press : Depuis la chute de Mohamed Morsi en juillet dernier, les répressions et arrestations se sont multipliées à l’encontre des Frères musulmans ou sympathisants islamistes. Le climat est-il pire que sous l’ère Moubarak ?
 

Antoine Basbous : Ce climat lui ressemble pas mal. Le gouvernement égyptien a légiféré : il a placé les Frères musulmans hors-la-loi, considérés comme une organisation terroriste. Cependant, la répression ne frappe pas seulement les Frères musulmans mais aussi les libéraux et les mouvements de gauche, qui veulent manifester et protester, et se retrouvent aujourd’hui jetés en prison. La répression s’applique non seulement contre les islamistes, mais contre toute forme de protestation, même quand elle vient des libéraux.

JOL Press : Pourquoi la rue s’est-elle alors rangée du côté de l’armée et du maréchal al-Sissi, élu à plus de 95% des voix ?
 

Antoine Basbous : Il faut noter qu’il y a eu un important taux d’abstention pendant lélection présidentielle. Cette abstention constitue un avertissement pour al-Sissi, qui n’aura pas d’état de grâce. Les Égyptiens sont dans l’attente de résultats, ils n’ont plus de patience. Si aujourd’hui il y a moins de manifestations dans les rues, c’est tout simplement parce qu’après plus de trois ans d’agitation, les Égyptiens sont fatigués, ils n’en peuvent plus, ils veulent plus d’électricité, d’eau, d’essence, de gaz, un pouvoir d’achat, la stabilité, le retour des touristes… Le pays est un peu assommé par tout ce qu’il a connu ces dernières années.

JOL Press : Doit-on s’attendre à de nouvelles manifestations si la répression continue ?
 

Antoine Basbous : L’avenir nous le dira, mais c’est surtout la situation économique qui sera le premier arbitre. Si al-Sissi réussit à tenir une partie de ses promesses, s’il réussit à offrir au peuple des conditions économiques améliorées, il peut commencer à gagner la partie.

En revanche, si la situation ne s’améliore pas rapidement, al-Sissi sera classé comme un militaire démagogique dont il faudra vite se séparer. Le pays peut donc être versatile, et les Égyptiens peuvent redescendre dans la rue si les résultats ne sont pas au rendez-vous.

Par ailleurs, je pense que la violence, comme celle qui a été pratiquée ce mercredi dans le métro du Caire [cinq bombes ont explosé, ndlr] n’est pas de nature à arranger l’image des Frères musulmans, bien au contraire : les gens acceptent la contestation, mais rejettent le terrorisme.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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Antoine Basbous est un politologue spécialiste du monde arabe et de l’islam. Il dirige actuellement l’Observatoire des pays arabes (OPA), un cabinet de conseil spécialisé dans l’Afrique du Nord, le Proche-Orient et le Golfe

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