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Ukraine: après les échanges du D-Day, une désescalade des tensions?

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Barricade à Marioupol, ville de l’Oblast de Donetsk, à l’est de l’Ukraine, mai 2014. (Crédit photo: Liudmila Ermolenko / Shutterstock.com)

Poignée de main entre le président ukrainien Petro Porochenko et Vladimir Poutine, lancement des pourparlers avec l’ambassadeur russe… L’Ukraine et la Russie ont multiplié les signes de reprise des négociations. « Nous devons mettre fin aux tirs cette semaine », a notamment déclaré le nouveau président de l’Ukraine, samedi 7 juin.

JOL Press : Le nouveau pouvoir en Ukraine a-t-il les capacités de mettre fin aux soulèvements dans l’est du pays ?
 

Éric Aunoble : S’il y a désescalade de la violence, à mon avis, cela dépendra moins de ce que pourra ou ne pourra pas faire l’Ukraine que de ce que voudra ou ne voudra pas faire la Russie. Il semblerait que Vladimir Poutine soutienne de moins en moins les séparatistes de l’est de l’Ukraine, même si l’opération antiterroriste menée par le pouvoir de Kiev continue de manière toujours sanglante et peu efficace. Je ne pense pas que le pouvoir de Kiev soit à même de prendre des initiatives réelles permettant de mettre fin aux soulèvements dans ces régions.

JOL Press : Quelles concessions le pouvoir de Kiev pourrait-il néanmoins faire pour limiter le bras de fer avec la Russie ?
 

Éric Aunoble : L’Ukraine pourrait accepter une sorte de souveraineté limitée sur l’est du pays et même une souveraineté limitée générale, c’est-à-dire que le pouvoir de Kiev serait obligé de demander l’autorisation des régions avant d’entreprendre un certain nombre de choses, et devrait faire très attention à ce que peut penser le voisin russe avant de prendre des décisions. De fait, c’est ce que l’on est en train de constater depuis trois mois : le pouvoir de Kiev est extrêmement affaibli, et il n’y a pas de raisons qu’il se renforce.

JOL Press : L’extrême droite ukrainienne, dont on a beaucoup parlé pendant les manifestations contre l’ex-président Ianoukovitch, est-elle également en perte de vitesse ?
 

Éric Aunoble : Suite aux résultats du premier tour de l’élection présidentielle, remportée par Petro Porochenko, un certain nombre de commentateurs ont dit que l’extrême droite n’était pas si forte.

C’est vrai que Svoboda et Praviy Sektor [partis d’extrême droite, ndlr] ont fait des scores assez faibles, mais il reste qu’Oleh Lyashko, représentant du Parti radical ukrainien, a fait 8 ou 9%. Il représente lui aussi l’extrême droite et faisait d’ailleurs campagne pour la récupération de la Crimée avec des affiches où on le voyait dans une tranchée en train de serrer la main à des militaires ukrainiens, ce qui laissait augurer des méthodes qu’il privilégiait pour récupérer la Crimée.

L’extrême droite est donc toujours présente même s’il semble quand même qu’elle ne bénéficie pas d’une mobilisation très conséquente dans ses rangs. L’élection présidentielle a surtout été l’occasion pour les Ukrainiens de voter massivement, pas seulement pour des idées, mais surtout pour quelqu’un qui représente une stabilité.

JOL Press : Cette stabilité sera-t-elle suffisante pour calmer les rebelles pro-russes dans l’est du pays ?
 

Éric Aunoble : La situation d’instabilité est partie pour durer assez longtemps. Une cassure s’est opérée à l’est du pays et il est difficile de revenir en arrière et de faire comme si rien ne s’était passé. Petro Porochenko a un profil ambigu dans la mesure où il était pour la Révolution orange et qu’ensuite il a été dans un gouvernement de Viktor Ianoukovitch. Sur le papier, il pourrait donc satisfaire un peu tout le monde mais la défiance est trop forte à l’est.

Cependant, si certains endroits à l’est du pays n’ont pas craqué (la région de Dnipropetrovsk et de Kharkov notamment), c’est parce que localement, les gouverneurs qui ont été nommés par le nouveau pouvoir ont réussi à rallier des bases. Ils se sont personnellement bien débrouillés, sans forcément l’aide du pouvoir central.

Le gouverneur de Dniepropetrovsk, l’oligarque Kolomoisky, qui est une des plus grosses fortunes du pays et a toujours été très actif politiquement – d’une façon, certes, pas toujours très claire – a par exemple proposé des primes de plusieurs milliers de dollars à qui amènerait des séparatistes pro-russes armés ou des mercenaires russes aux forces de police. Ainsi, la région de Dnipropetrovsk est restée calme. Dans la région de Kharkov, le gouverneur a fait profil bas au niveau général mais il a réussi à se constituer des réseaux et à s’assurer une relative fidélité dans les forces de police. Je ne pense pas que le gouvernement central soit pour grand-chose dans ces « succès ».

JOL Press : Porochenko a dit qu’il voulait récupérer la Crimée. Cela est-il envisageable ?
 

Éric Aunoble : Absolument pas. Le problème, c’est que je ne vois pas comment il aurait pu dire autre chose. C’est là aussi le signe de l’affaiblissement énorme du pouvoir central. Il ne peut pas ne pas dire qu’il veut récupérer la Crimée, mais il en est en réalité totalement incapable.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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Éric Aunoble est chargé de cours à l’unité de russe de l’Université de Genève. Il a commencé ses recherches sur l’Ukraine soviétique dans les années 1990 en préparant une thèse de doctorat sur les communes comme forme d’utopies révolutionnaires. Il poursuit ses recherches autour de la dynamique des conflits liés à la période révolutionnaire, l’élaboration d’une culture soviétique et les rapports sociaux dans l’Ukraine des années 1920-1930.

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