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Vague de réfugiés en Irak: musulmans et chrétiens fuient les combats

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Aux réfugiés syriens présents au Kurdistan viennent désormais sajouter plus de 300 000 réfugiés irakiens suite à loffensive jihadiste. Ici, un camp de réfugiés syriens à Bardarash, au Kurdistan irakien. (Crédit photo: Paskee / Shutterstock.com)

JOL Press : Depuis la prise de Mossoul la semaine dernière, qui sont les réfugiés irakiens qui ont fui la ville et la région ?
 

Marc Fromager : À la chute de Mossoul, il y a eu un exode massif de la population : on parle de 500 000 personnes. Il s’agit quasiment uniquement de musulmans, mais également d’une part de chrétiens irakiens. Il faut savoir qu’à Mossoul, il y a encore dix ans, il y avait encore 35 000 chrétiens dans la ville. Ces derniers mois, il n’en restait que 3 000, soit dix fois moins qu’avant l’invasion américaine en 2003. D’après l’évêque de Mossoul, Mgr Nona, il ne resterait aujourd’hui probablement aucun chrétien dans la ville.

Parmi les musulmans qui ont fui la ville se trouvaient aussi des chiites, mais Mossoul se situant dans une zone plutôt sunnite, la majorité des personnes qui sont parties sont des musulmans sunnites. A priori, ils n’ont rien à craindre de l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL), groupe de jihadistes sunnites, mais ils ont fui car ils ont eu peur des bombardements et des exactions qui pouvaient se produire dans la ville. Ils ne voulaient pas rester dans une zone de combat où l’on n’est jamais à l’abri d’une balle perdue, d’une explosion, d’un mortier ou de tout ce qui peut survenir sur une ligne de front.

JOL Press : Observez-vous une solidarité entre chrétiens et musulmans ?
 

Marc Fromager : Depuis plusieurs années déjà, beaucoup de chrétiens irakiens se sont réfugiés dans la partie kurde, au nord de l’Irak, où ils sont plutôt à l’abri. Les Kurdes sont des musulmans sunnites mais ne sont pas arabes [ce qui constitue un tort aux yeux de l’EIIL, ndlr], et ils leur ont assuré une protection. On peut donc parler d’une certaine forme de solidarité au Kurdistan, mais dans le reste du pays, les chrétiens ont été forcés à partir.

Comme ils ne bénéficient pas de moyens de protection – il n’y a pas de milices chrétiennes, comme les Peshmergas kurdes par exemple – et que l’État irakien n’a ni les moyens ni la volonté de dépenser de l’argent et de l’énergie pour défendre spécifiquement les chrétiens, ils se trouvent à la merci de n’importe quel groupe : soit des islamistes qui pour des raisons religieuses veulent purger le pays de toute présence chrétienne, soit de bandes mafieuses qui profitent du chaos pour exiger des rançons et récupérer des biens immobiliers que les familles ont souvent laissés derrière elles en fuyant.

C’est ce qui explique qu’il n’existe aujourd’hui presque plus de chrétiens en Irak. Il en restait environ 1,5 million avant 2003. Aujourd’hui, on parle plutôt de 400 000 chrétiens voire moins (150 000).

JOL Press : Quel risque l’afflux de réfugiés – chrétiens et musulmans – fait-il peser sur le Kurdistan et sur certaines villes à majorité chrétienne au nord de l’Irak ?
 

Marc Fromager : C’est un réel problème. Aujourd’hui au Kurdistan, dans certaines grandes villes, les chrétiens sont minoritaires ou regroupés dans des quartiers. Mais dans la plaine de Ninive, certaines petites villes ou gros villages sont en majorité peuplés de chrétiens, comme à Qaraqosh, située à quelques dizaines de kilomètres de Mossoul.

Si du fait de l’afflux de réfugiés dans ces contrées, dont une majorité de musulmans, on arrivait à un changement radical du paysage religieux, cela aurait évidemment un effet qui pourrait être inquiétant pour les chrétiens. Parce que de facto, si les chrétiens se retrouvent à nouveau minoritaires au sein d’une majorité musulmane, vu les tensions qui existent aujourd’hui en Irak, ils ne seraient plus du tout en sécurité. Si cette crise à laquelle on assiste aujourd’hui se poursuit, un fort risque en termes de sécurité va donc se poser.

Cela étant, pour le moment, le Kurdistan a profité de la situation pour étendre son territoire, et les Kurdes ne sont pas pressés de le rendre… Ils ont des capacités de résistance armée et la probabilité pour que ce qui se passe dans le reste de l’Irak en vienne à profondément changer la situation dans la partie kurde du pays est assez faible pour le moment.

JOL Press : Les réfugiés chrétiens bénéficient donc de la protection des autorités kurdes ?
 

Marc Fromager : Globalement, même si la relation historique entre Kurdes et chrétiens n’a pas toujours été faite de bons sentiments, les réfugiés chrétiens sont aujourd’hui bien accueillis par les Kurdes qui leur assurent une forme de protection, ce qui est plutôt positif.

Cependant, cette protection, si elle permet d’éviter de se faire massacrer ou chasser violemment de Bagdad ou d’ailleurs, met aussi les réfugiés dans une relation de dépendance. Ils ne sont pas non plus traités comme des Kurdes, tout simplement parce que les chrétiens irakiens sont arabes et pas kurdes.

Il y a quelques décennies, certaines familles chrétiennes étaient descendues vers le sud après des troubles au Kurdistan, et avaient notamment rejoint Bagdad. On assiste aujourd’hui à une sorte de renversement : ces populations retournent chez elles, au Kurdistan, après deux ou trois générations. Les jeunes qui arrivent de Bagdad dans les petites villes du Kurdistan parlent donc arabe et pas kurde, et sont habitués à une vie urbaine et non à une vie de village, ce qui peut créer un fossé avec la population kurde.

La plupart des chrétiens ont cependant quitté le pays et sont allés dans les pays voisins ou plus loin, pour ceux qui pouvaient – aux États-Unis, au Canada, en Norvège etc. Il reste aujourd’hui très peu de chrétiens à Bagdad, même s’il reste des églises, des couvents et des religieux.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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Marc Fromager est directeur de lONG AED (Aide à lÉglise en détresse).

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