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Conflit Israël-Hamas: le Fatah de Mahmoud Abbas sortira-t-il renforcé?

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Mahmoud Abbas, secrétaire général de l’Autorité palestinienne, à la tête du Fatah. (Crédit photo: mikhail / Shutterstock.com)

JOL Press : Quelle a été la position de Mahmoud Abbas depuis le début de l’offensive israélienne à Gaza ?
 

Frédéric Encel : Il est en retrait. Il est un peu pris entre l’enclume et le marteau, comme souvent. Car s’il rompt officiellement tout contact avec Israël, cela signifie l’abandon de tout processus de paix, et en même temps l’abandon de tous les soutiens diplomatiques des grandes chancelleries.

Mais s’il ne dénonce pas Israël, y compris en des termes excessifs comme il l’a fait il y a deux semaines, il se fait passer pour un traître. D’ailleurs, il est déjà très contesté au sein de la population palestinienne. Pour l’instant, il est donc en retrait sachant que fondamentalement, le Hamas est son ennemi principal. Israël est un adversaire-partenaire à la table des négociations.

Israël ne veut pas la place de l’Autorité palestinienne tandis que le Hamas souhaite, depuis son putsch de 2007 dans la bande de Gaza, prendre le contrôle de l’ensemble du territoire palestinien. Donc de ce point de vue-là, en dépit de ses condamnations orales, de ses rodomontades et de ses demandes de réunions d’urgence du Conseil de sécurité de l’ONU, Mahmoud Abbas est, au fond, très satisfait de l’affaiblissement du Hamas.

JOL Press : Mahmoud Abbas était en effet à Doha hier et a appelé à une réunion d’urgence du Conseil de sécurité de l’ONU. Cette prise de position lui sera-t-elle « profitable » ?
 

Frédéric Encel : C’est en quelque sorte la moins mauvaise. En faisant cet appel, il reste en effet dans les clous de la communauté et du droit international, il démontre qu’il a confiance dans l’ONU, et montre la poursuite de ses efforts diplomatiques entrepris en 2011-2012 en vue de la reconnaissance, même comme État non membre, de la Palestine. De ce point de vue-là, il est conforté par les chancelleries.

Mais d’un autre côté, cela lui permet aussi de dire à son opinion publique, en interne, qu’il ne fait pas rien. Il n’est pas dupe, il sait très bien que le rapport de force face au Hamas est en faveur d’Israël et surtout que les chancelleries, pour l’instant, laissent les Israéliens combattre un mouvement considéré, à juste titre d’ailleurs, comme radical dans un contexte moyen-oriental où tout le monde craint les islamistes radicaux.

JOL Press : Comment qualifieriez-vous les relations entre le gouvernement israélien et Mahmoud Abbas aujourd’hui ? Quelle est la stratégie israélienne face au Fatah ?
 

Frédéric Encel : Il n’y a pas réellement de stratégie israélienne vis-à-vis du Fatah. Sur le terrain, la coopération et les contacts administratifs et sécuritaires sont les mêmes. La crise avec le Hamas ne change rien. Même si officiellement le processus de paix est interrompu, il ne l’a pas été avec pertes et fracas – d’ailleurs, c’est une nouvelle phase qui est interrompue en attendant la prochaine.

JOL Press : L’arrivée d’Abdel Fattah al-Sissi au pouvoir en Égypte, ennemi du Hamas, pourrait-elle renforcer le rôle de Mahmoud Abbas et du Fatah dans la région ?
 

Frédéric Encel : L’élection d’al-Sissi représente une bouffée d’oxygène pour le Fatah : c’est l’ennemi de son ennemi qui arrive au pouvoir, à la frontière de Gaza. Al-Sissi, qui a une position très intransigeante et dure vis-à-vis du Hamas, ne pourra que l’affaiblir. L’Égypte, principal pays arabe et musulman, fait en effet porter l’intégralité de la responsabilité du conflit sur le Hamas. Mahmoud  Abbas peut donc se sentir conforté parce qu’aux yeux de l’Égypte, il représente le seul interlocuteur palestinien, ce qui n’était pas le cas pendant l’année de pouvoir de Mohamed Morsi [ex-président égyptien islamiste destitué en juillet 2013].

JOL Press : L’accord de réconciliation amorcé il y a quelques mois entre le Fatah et le Hamas est-il définitivement au point mort ?
 

Frédéric Encel : Il est au point mort, c’est sûr. En même temps, il n’était déjà pas très efficient. On a beaucoup répété qu’il s’agissait d’un gouvernement d’union nationale, ce qui n’est pas exact. C’est un gouvernement de technocrates soutenu à la fois par le Hamas et le Fatah.

JOL Press : Les premiers soldats israéliens sont morts ce week-end… Quel impact cela pourrait-il avoir sur la suite des évènements ?
 

Frédéric Encel : Le problème est surtout politique : c’est-à-dire que plus le nombre de morts du côté israélien sera important, moins l’opinion publique suivra Benjamin Netanyahou, c’est mécanique. En même temps, tant que des roquettes et des missiles tomberont sur les villes israéliennes et tant que des militants ou des terroristes du Hamas sortiront pas des tunnels creusés sous la bande de Gaza pour aller attaquer des kibboutz et des villages israéliens, l’opinion suivra.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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Frédéric Encel est docteur en géopolitique, professeur à l’ESG Management School et maître de conférences à Sciences Po. Il est l’auteur de plusieurs livres, dont Atlas géopolitique d’Israël. Aspects d’une démocratie en guerre (Autrement, 2008, nouvelle éd. revue et augmentée en 2012) et De quelques idées reçues sur le monde contemporain. Précis de géopolitique à l’usage de tous (Autrement, 2013).

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