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Conflit israélo-palestinien: «John Kerry est largement démonétisé»

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John Kerry,  chef de la diplomatie américaine – Photo DR Shutterstock

JOL Press : Les Etats-Unis sont un allié stratégique et historique d’Israël. Où en sont les relations entre les deux pays ?
 

Jean-Paul Chagnollaud : Il y a toujours une alliance très forte entre les Etats-Unis et Israël. Mais Barack Obama a essayé de prendre ses distances en 2009 lorsqu’il a essayé d’organiser un moratoire sur la colonisation israélienne, qui s’est révélé être un énorme échec. Il a par la suite complètement délaissé cette affaire. L’une des raisons de cette impuissance s’explique par le fait que l’administration Obama ne veut pas prendre de risques notamment sur le plan intérieur. Si Barack Obama a pris quelques distances avec Israël, le Congrès américain, dans une très large majorité – notamment chez les Républicains – , est complètement acquis derrière Israël.

JOL Press : L’escalade du conflit israélo-palestinien a-t-elle détérioré les relations entre Israël et les Etats-Unis ?
 

Jean-Paul Chagnollaud : Le conflit israélo-palestinien effrite, à la marge, les relations entre les deux pays. Un certain nombre de faits ont énormément choqué l’opinion publique américaine. N’oublions pas non plus que des journalistes américains étaient en première ligne des affrontements entre Israël et Gaza, notamment lors de l’assassinat des enfants palestiniens sur la plage : cela a eu beaucoup d’impact aux Etats-Unis. Globalement, l’opinion publique reste très largement favorable à Israël quel que soit les circonstances. Quant à Barack Obama…à force d’avoir parlé pour ne rien dire, d’avoir parlé pour finalement ne rien faire, sa parole est aujourd’hui décrédibilisée. Il a fait semblant de taper du poing sur la table : mais il n’y avait ni poing, ni table…Résultat des courses : personne ne l’a écouté.

Critiques contre John Kerry
 

JOL Press : John Kerry,  chef de la diplomatie américaine, a été qualifié d’ « alien et d’embarras permanent » par le gouvernement israélien. Ce n’est pas la première attaque à son égard…Comment est considéré le médiateur du conflit par les autorités israéliennes ? A-t-il, lui aussi, perdu toute sa crédibilité ?
 

Jean-Paul Chagnollaud : John Kerry avait, je crois, une volonté sincère, de réussir des négociations politiques, ce qui impliquait fondamentalement des compromis importants de la part d’Israël. Or, l’actuel gouvernement israélien ne veut pas entendre parler, ni de négociations véritables, ni de compromis. Par conséquent, certains hommes politiques au sein du gouvernement israélien ont déjà traité le chef de la diplomatie américaine de tous les noms.

Le ministre israélien de la Défense Moshé Yaalon a par exemple qualifié John Kerry d’ « obsessionnel et de messianique », estimant qu’il voulait faire de la politique, alors que pour lui, la seule chose qui compte est le rapport de force et la violence. Aujourd’hui, il en est exactement de même, avec cette différence fondamentale : l’armée israélienne est en marche de manière aveugle et terrible contre Gaza. Aujourd’hui, nous ne sommes plus dans les mots mais dans les actes et John Kerry n’a aucun moyen d’infléchir sérieusement cette dynamique de force. John Kerry est lui aussi aujourd’hui largement démonétisé.

JOL Press : John Kerry a réussi a négocier la reprise des négociations en juillet 2013 et s’investissait depuis pour tenter de décrocher un accord de paix. Quel bilan peut-on tirer de son action comme médiateur dans ces négociations ?
 

Jean-Paul Chagnollaud : Le bilan de John Kerry est simple : il n’a rien fait, rien réussi : il a tout perdu jusqu’à maintenant.  Il n’a plus aucun crédit dans la région. S’il échoue dans les prochains jours à opter pour une action différente, comme l’usage du chapitre 7, la diplomatie américaine – déjà très peu respectée au Moyen-Orient – ne le sera alors plus du tout. Cela serait très grave, car d’autres négociations sont en cours, notamment avec l’Iran : il est bien évident que si les Iraniens constatent que les Américains sont si faibles, cela ne va pas encourager les Iraniens à faire des concessions.

Le rôle de la communauté internationale dans le conflit
 

JOL Press : Comment la communauté internationale pourrait-elle agir pour imposer un cessez-le-feu entre Israël et le Hamas ?
 

Jean-Paul Chagnollaud : Si la communauté internationale voulait vraiment agir, il faudrait qu’elle passe par le Conseil de sécurité, non pas par une déclaration formelle, mais par l’utilisation du chapitre 7, qui rend obligatoire une décision prise par le Conseil de sécurité. Il faut bien noter qu’il n’y a jamais eu, jusqu’à ce jour, de texte contraignant contre Israël s’appuyant sur ce chapitre. C’est donc une question de volonté politique.

Propos recueillis par Louise Michel D. pour JOL Press

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JeanPaul Chagnollaud est professeur en sciences politiques à l’Université de Cergy-Pontoise, et directeur de l’iReMMO. Il est l’auteur de nombreux ouvrages dont Quelques idées simples sur l’Orient compliqué (Ellipses, juin 2008).

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