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«Je suis devenu un espion parce que je voulais me venger»

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Djahanshah Bakhtiar a travaillé pour la CIA et le Mossad (Photo: Shutterstock.com)

«Avant d’avoir 16 ans, j’ai vécu avec des agents du MI5 britannique, je suis devenu un familier des Renseignements généraux français, j’ai été interrogé par les inspecteurs de la Crim’ dans les bureaux du mythique Quai des Orfèvres. À 40 ans, je suis devenu un espion de la CIA, à 46, un agent du Mossad. Entre ces deux missions, j’ai tué un homme. À la publication de ce livre, les fous de Dieu qui gouvernent la terre de mes ancêtres, le pays que mon grand-père a dirigé pendant trente-sept jours, me condamneront probablement à mort. Ils enverront leurs tueurs me traquer de par le monde. Je m’en contrefiche. Je me nomme Djahanshah Bakhtiar – appelez-moi Jay-Jay. Ceci est mon histoire et elle n’est pas ordinaire.»

Extrait de Moi, Iranien, espion de la CIA et du Mossad, de Djahanshah Bakhtiar (Éditions du Moment – 28 mai 2014).

Voilà, c’est fini. Peut-être les agents du Mossad écoutent-ils encore mes conversations, lisent-ils encore mes mails, je n’en ai aucune idée. Maintenant que Sam a pris sa retraite, est-ce que quelqu’un se souvient encore de moi à Langley ? Je m’en moque. J’en ai fini avec les «james bonderies», fini avec ce métier d’agent secret. De toute façon, après avoir travaillé pour les Américains – la crème – et les Israéliens – la crème de la crème –, à qui pourrais-je proposer mes services ?

Je suis devenu un espion parce que je voulais me venger. J’aime passionnément mon pays, je déteste avec rage ses dirigeants ainsi que la religion au nom de laquelle ils commettent leurs atrocités. À l’heure où j’écris ces lignes, ces fous sanguinaires sont encore en train de vous berner. Sous la présidence d’Hassan Rohani, l’Iran négocie un accord avec les grandes puissances sur son programme nucléaire, s’engageant à ralentir sa politique d’enrichissement d’uranium en échange d’une levée des sanctions internationales. Méfiez-vous, ces gens-là n’ont pas de paroles, ces gens-là sont des intégristes. Ils se présentent comme des modérés, ils restent des enturbannés.

[image:2,s]Ma famille a payé pour savoir le mal qu’ils peuvent causer. Et pour les naïfs qui me rétorqueraient que c’était il y a trente-cinq ans, que le régime et les hommes ont changé, je rappelle que des dizaines de journalistes et de militants politiques sont toujours emprisonnés à Evin et que, tandis que les émissaires de Rohani négociaient à Genève, le Guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, professait ses paroles de haine devant 50 000 fidèles à Téhéran : «Les ennemis, notamment par la bouche sale et malveillante du chien enragé de la région au sein du régime sioniste, disent que l’Iran représente une menace pour le monde. […] Les fondements du régime sioniste ont été affaiblis, il est voué à la disparition.» Et d’exhorter les négociateurs de Genève à ne rien céder quant au programme nucléaire.

Alors si cet ouvrage peut servir à vous ouvrir les yeux, cela sera ma récompense. Pour le reste, je tire ma révérence. Sur mon chemin dissolu et tragique, j’ai emprunté le mode de vie nomade de mes ancêtres. J’ai coupé toutes mes attaches. Depuis dix ans que j’ai fait cet étrange choix de devenir espion, je m’interdis l’amour. Pourtant j’aime une femme, en secret. Mais, je me refuse à nouer une relation sérieuse. Je ne veux pas rentrer un soir et la découvrir pendue. Je m’interdis aussi de fonder une famille pour ne pas qu’elle subisse les conséquences de mon combat. Je le regrette, j’en souffre. Mais c’est ma vie.

Malgré mes succès, à la hauteur de mes moyens, contre le régime des mollahs, je continue à avoir des difficultés à trouver le sommeil. Je culpabilise toujours de n’avoir rien pu faire pour mon grand-père. Et, la nuit, je revis l’attentat de Neuilly, l’odeur de la poudre, le sourire d’Amir Reza, ses coups de pied sur Anis Naccache menotté. Je m’imagine le bébé de la voisine, ce bébé doit avoir 33 ans maintenant. Son père ne s’occupait pas d’elle, sa mère est morte à cause de la politique iranienne. Cela me hante toujours. Je me dis que je dois retrouver cette jeune femme. On irait prendre un café. Je lui présenterais mes excuses au nom de ma famille. Je lui dirais : ta mère est morte à cause de nous. Je suis ce garçon de 15 ans qui était dans l’appartement d’enfance ce jour-là. Tous les deux, nous sommes les seuls survivants. Ça ne justifie rien, ça ne te rendra pas ta mère mais sache que moi aussi, ça m’est arrivé, mon grand-père a finalement été assassiné. Je la prendrais dans mes bras. Et nous pleurerions nos morts. Peut-être réagirait-elle mal, peut-être me giflerait-elle, peut-être a-t-elle réussi, contrairement à moi, à faire son deuil. Les années passent, je ne me décide pas à la rencontrer. Pourvu qu’elle lise ce livre !

Quant aux mollahs et leurs sbires à Téhéran, j’espère qu’un ou deux de ceux que j’ai roulés dans la farine s’étrangleront quand ils me liront à leur tour. Oui, j’ai été un agent secret. Oui, j’étais entre vos mains et vous n’avez rien vu. Oui, j’ai livré des informations à vos ennemis jurés, «le Grand Satan» et «le Petit Satan», selon la terminologie de votre enturbanné préféré, l’ayatollah Khomeini. Oui, moi, Iranien, j’ai travaillé pour les Israéliens, j’ai été reçu chez eux. J’irai même plus loin : je les trouve beaucoup plus évolués que vous avec votre régime rétrograde.

Après ces mots sacrilèges, je me doute que, de la même manière que pour Baba Bozorg, les mollahs m’enverront un jour leurs escadrons de la mort. Ce n’est pas grave. Je les attends.

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Djahanshah Bakhtiar a 49 ans. Il a été banquier, restaurateur et agent secret.

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