Site icon La Revue Internationale

Les États-Unis exportateurs de pétrole brut: quelles conséquences?

[image:1,l]

Les États-Unis sont loin d’être autosuffisants et encore plus loin d’être un gros exportateur de pétrole. (Crédit : Shutterstock)

 

JOL Press : Pourquoi Barack Obama a-t-il pris la décision d’autoriser deux sociétés texanes à exporter dès le mois d’août du condensat ultra-léger ?
 

Thomas Porcher : La décision d’interdire les exportations de pétrole brut avait été prise dans les années 70, afin que l’économie américaine soit la moins dépendante possible de ses importations de pétrole.

Aujourd’hui, avec la production de pétrole de schiste, les Etats-Unis sont de moins en moins dépendants de l’extérieur et les compagnies pétrolières cherchent de nouveaux débouchés pour leur production. Les compagnies ont organisé un lobbying auprès de Washington et ont obtenu un premier succès, même si, a priori, il reste limité à deux entreprises et concernent uniquement le condensat.

JOL Press : Le condensat ultra-léger a été assimilé par les autorités américaines à un produit raffiné. C’est à ce titre seulement qu’il a été autorisé à l’exportation – puisque l’embargo ne vise pas les produits raffinés. Une brèche est-elle toutefois ouverte dans l’embargo ? Si oui, pourquoi n’avoir pas alors effectivement levé ce dernier et préféré jouer sur cette exception ?
 

Thomas Porcher La loi prévoyait déjà une autorisation d’exporter du pétrole brut vers le Canada. Ces exportations ont d’ailleurs augmenté ces dernières années, ce qui indique un changement structurel. L’industrie pétrolière américaine semble vouloir se tourner vers l’extérieur.

Mais l’économie américaine n’est pas encore énergétiquement indépendante, d’où les réticences du gouvernement qui semble plus miser sur une ouverture progressive.

JOL Press : Quels sont, et seront à l’avenir, les débouchés des exportations américaines ?
 

Thomas Porcher Contrairement au gaz, le pétrole se transporte facilement, donc tous les pays intéressés pourraient en bénéficier.

JOL Press : Pour qui le « boom » du pétrole américain représente-t-il une bonne nouvelle, pour qui représente-t-il une mauvaise nouvelle ? 
 

Thomas Porcher En fait, je pense que, globalement, cela n’affecte pas grand monde. Déjà parce que les exportations restent minimes, et puis parce que la demande de pétrole ne se trouve plus essentiellement aux Etats-Unis, ou en Europe, mais également dans les pays émergents. La même situation avant 2004 aurait probablement engendré plus d’inquiétude chez certains pays producteurs, ce n’est plus le cas aujourd’hui.

Car avant 2004, les pays consommateurs étaient essentiellement les pays de l’OCDE et en premier lieu les Etats-Unis. A partir de 2004, il y a eu un changement dans la structure du marché avec l’arrivée de la demande des émergents qui s’est ajoutée à la demande des pays traditionnellement consommateurs. Et comme le premier moteur de la demande de pétrole est la croissance économique, l’avenir de la demande semble plus se jouer dans les pays émergents qu’en Europe ou aux Etats-Unis.

JOL Press : Il y a peu de chances que les exportations de pétrole américain fassent baisser le prix du brut dans la mesure où, en réaction, l’OPEP devrait diminuer ses quotas de production pour maintenir un prix élevé, et les investisseurs freiner leurs activités d’exploration-production, faisant ainsi diminuer l’offre et donc remonter les prix. L’annonce de la reprise des exportations de pétrole américain est-elle donc en fin de compte une « non-annonce » du point de vue du marché ?
 

Thomas Porcher Le marché du pétrole est extrêmement sensible aux changements, surtout lorsqu’ils affectent un gros producteur et/ou consommateur de pétrole, ce qui est le cas des Etats-Unis. Mais, effectivement, comme vous l’avez dit, les exportations américaines ne feront pas baisser les prix du pétrole.

Premièrement parce que l’OPEP réagirait sûrement en ajustant ses quotas ; deuxièmement parce que le coût d’extraction du pétrole non-conventionnel est élevé et nécessite un prix du pétrole élevé pour être rentable. L’augmentation des coûts d’extraction du pétrole sont des stabilisateurs à la hausse des prix.

JOL Press : Peut-on imaginer les Etats-Unis devenir un jour membre de l’OPEP, ou créer une organisation du même type, afin de pouvoir peser sur les marchés ?
 

Thomas Porcher Non, parce que pour intégrer l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) ou exercer un pouvoir de marché, il faut accepter de produire par quotas et d’ajuster ces quotas en fonction des prix. Il faut donc une volonté politique de restreindre sa production.

Aujourd’hui, les Etats-Unis produisent à pleine capacité, intégrer l’OPEP signifierait donc produire moins. Il faut également être tourné principalement vers l’extérieur et donc exporter massivement. On est loin de cette situation aux Etats-Unis.

JOL Press : Quel est actuellement le rapport entre la demande interne et la production ? Si les États-Unis exportent, est-ce à dire qu’ils sont autosuffisants ?
 

Thomas Porcher La production de pétrole satisfait 60% de la demande interne. La production dépasse donc les importations, mais les Etats-Unis sont loin d’être autosuffisants et encore plus loin d’être un gros exportateur de pétrole.

JOL Press : Quel est le niveau des gisements américains ? En d’autres termes, le boom pétrolier aux Etats-Unis va-t-il s’inscrire dans une certaine durée ?
 

Thomas Porcher L’Agence internationale de l’énergie (AIE) prévoit que les Etats-Unis deviendront le premier producteur mondial de pétrole à partir de 2015. Mais il ne faut pas oublier que ce boom énergétique se fait grâce à un forage intensif des zones d’exploitation et que les gisements de pétrole de schiste ont une durée de vie plus courte que le pétrole conventionnel.

Enfin, comme je l’ai dit, les Etats-Unis produisent à pleine capacité quand d’autres pays comme l’Arabie Saoudite produisent par quotas et économisent une partie de leurs réserves.

JOL Press : La nouvelle donne pétrolière aux Etats-Unis peut-elle augurer d’un certain désengagement américain aux moyen et proche orients ?
 

Thomas Porcher : Ce serait pour les Etats-Unis une erreur stratégique pour les raisons évoquées dans la question précédente. Il y a trop d’incertitudes sur la durée du « boom pétrolier » américain.

JOL Press : Washington pourrait-il prendre ses distances vis-à-vis de Riyad, partenaire énergétique moins incontournable à l’avenir, au moment où les prises de positions saoudiennes sur l’Irak déplaisent à la Maison Blanche ?
 

Thomas Porcher C’est possible, mais dans l’énergie, les rapports de force sont en plein bouleversement. Par exemple, la Russie se rapproche de la Chine, Riyad pourrait peut-être faire de même.

De manière générale, la demande se trouve plus dans les pays émergents que dans les pays développés. Par exemple, l’Europe semble vouloir se lancer dans la transition énergétique avec ses objectifs dits « 3 x 20 » [une série d’objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre que s’est fixée l’Union européenne en 2008, ndlr], et les Etats-Unis ne peuvent consommer beaucoup plus de pétrole. De mémoire, un Américain consomme 25 barils par an quand un Chinois n’en consomme que 2 ou 3. Pour les pays producteurs, l’avenir est donc plus chez les émergents.

JOL Press : En 2013, pour la première fois depuis quatorze ans, les États-Unis ont augmenté leur consommation de pétrole plus que la Chine. Qu’est-ce que cela révèle ?
 

Thomas Porcher Cela révèle que les Etats-Unis sont en retard sur la transition énergétique et sur la question climatique alors même qu’ils sont la première puissance mondiale. Cela envoie un mauvais signal au reste du monde. Nous le voyons bien dans les sommets sur le climat.

JOL Press : Les relations sino-américaines seront-elles affectées d’une quelconque manière par le boom pétrolier américain ?
 

Thomas Porcher Non. Les relations sino-américaines sont plutôt d’ordre financier. Certes, les compagnies américaines et chinoises pouvaient être en concurrence pour accéder aux gisements d’hydrocarbures à travers le monde, mais il y avait également des compagnies européennes.

JOL Press : L’AIE prévoit que les Etats-Unis seront devenus d’ici 2015 le premier producteur de pétrole brut au monde, devant la Russie et l’Arabie Saoudite. Qu’est-ce que cela impliquerait à l’échelle mondiale ?
 

Thomas Porcher Cela ne changera rien à l’échelle mondiale. Aujourd’hui, la Russie est le premier producteur de pétrole mais a moins d’influence que l’Arabie Saoudite. Pourquoi ? Parce que l’Arabie Saoudite, produisant par quotas, est capable de mettre des barils sur le marché en cas de manque. Cela a été le cas pour la Libye par exemple.

Les marges de production immédiatement mobilisables de l’Arabie Saoudite la confortent dans son rôle de « swing supplier » [producteur capable de remplacer la production de tout autre pays qui viendrait à manquer, ndlr.].
 

Propos recueillis par Coralie Muller pour JOL Press

————–
 

Thomas Porcher est docteur en économie, professeur en marché des matières premières à l’ESG-Management School et chargé de cours en économie et géopolitique de l’énergie à l’université Paris-Dauphine. Ces analyses sur l’énergie ont été reprises dans plusieurs rapports du gouvernement et de l’Assemblée nationale. Il est notamment l’auteur de « Le mirage du gaz de schiste », (éd. Max Milo, 2013).

 

Quitter la version mobile