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Manif pro-Gaza: les Frères musulmans, «dernière idéologie totalitaire» et soutien du Hamas

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Drapeau des Frères musulmans. (Photo: Wikimedia Commons)

JOL Press : Pouvez-vous nous rappeler les liens historiques entre le Hamas et les Frères musulmans ?
 

Michaël Prazan : Le Hamas est la filiale palestinienne des Frères musulmans. Ces derniers ont été fondés en 1928 par Hassan el-Banna, quatre ans après l’effondrement du califat. Assez rapidement, dans la décennie qui suit, des « têtes de pont » vont être posées dans un certain nombre de territoires du monde arabe (avant une expansion plus large vers l’international dans les années 70-80).

La première filiale étrangère est syrienne. Mais très vite, parce que la création de la confrérie est consubstantielle à un certain nombre de luttes au sujet de la question coloniale, le Hamas – qui ne s’appelle pas encore comme cela puisque le nom sera donné au moment de la première intifada, en 1987 – s’organise sous l’égide des Frères musulmans. La personnalité fondatrice du Hamas, Ezzedine al-Qassam, va porter le fer d’abord contre les Britanniques puis ponctuellement contre les premiers foyers juifs, les kibboutz etc. sur les territoires palestiniens.

Al-Qassam tombe les armes à la main encerclé par les Britanniques en 1935. Par la suite, pour rendre hommage à cette figure fondatrice considérée comme le premier martyr, le Hamas intitule sa branche armée Ezzedine al-Qassam. Le Hamas est donc, pour la confrérie des Frères musulmans au sens le plus large, un élément et un point de fixation tout à fait particulier dans leur organigramme et leur histoire.

JOL Press : Aujourd’hui, quels liens les deux groupes entretiennent-ils ?
 

Michaël Prazan : La maison mère des Frères musulmans est établie au Caire, et se porte mal aujourd’hui. Mais je ne ferai pas de distinction entre les deux : c’est la même organisation, le même mouvement. L’idéologie est partagée et les buts poursuivis sont identiques. Il y a cependant toujours une marge de manœuvre parce que les Frères musulmans sont aussi des pragmatiques.

La confrérie a ainsi une liberté d’action et une liberté politique dans chaque pays où est implantée une de ses représentations étrangères, mais la proximité géographique entre le Hamas et la maison mère égyptienne est forte. Il y a un lien permanent et un dialogue total entre les dirigeants fréristes égyptiens et le Hamas.

JOL Press : Qu’a provoqué la chute de l’islamiste Mohamed Morsi en Égypte pour le Hamas ? En perdant le soutien égyptien, le Hamas se relèvera-t-il ?
 

Michaël Prazan : Évidemment, cela a contribué à conditionner la crise actuelle. De mon point de vue, il est invraisemblable, en tout cas dans un premier temps, que l’intermédiaire égyptien puisse être à même de jouer aujourd’hui un tel contrôle ou une telle pression sur le Hamas.

Les Frères musulmans ont en effet été très violemment réprimés et interdits par la nouvelle Égypte que représente le président Abdel Fattah al-Sissi. Il ne pouvait pas être un interlocuteur crédible et valable aux yeux des représentants du Hamas qui se retrouvent évidemment très isolés, parce que le Hamas a subi aussi le contrecoup de la crise syrienne.

Le Hamas avait vu ses soutiens tomber les uns après les autres après la chute des Frères musulmans, en Égypte ou en Tunisie. Ils se sont retrouvés dans un état d’isolement, pris à la gorge aussi économiquement, et ont donc eu besoin de retrouver des soutiens, pas forcément des nations, mais aussi des soutiens populaires.

Le Hamas avait tout intérêt, ne serait-ce que pour lutter pour sa survie, à ce que le conflit avec Israël dure, à ce qu’il s’enlise. Si Israël parvient à ses fins en ce qui concerne le démantèlement des infrastructures ou le fait de faire exploser des tunnels du Hamas, ce sera un nouveau coup dur mais ils chercheront à relever la tête, ne serait-ce que pour leur population.

JOL Press : Quelle est la stratégie des Frères musulmans aujourd’hui dans le monde arabe ?

Michaël Prazan : Leur stratégie a toujours été la même : exister, et pour exister, il faut de la visibilité. Si l’on s’intéresse à la question égyptienne, c’est plus compliqué : les Frères musulmans ont aujourd’hui beaucoup de difficultés à exister sur la scène égyptienne, mais ils ne disparaîtront pas. Les Frères musulmans, c’est avant tout une idée, et on ne vient pas à bout d’une idée même avec la répression. Ils retrouveront une formulation acceptable au sein de la société égyptienne de laquelle ils ne peuvent pas disparaître.

JOL Press : Quel impact la proclamation d’un État islamique en Syrie et en Irak pourrait-il avoir sur les Frères musulmans ?
 

Michaël Prazan : Je pense que c’est trop tôt pour le dire, je pense aussi qu’il y a, au sein des Frères musulmans, le sentiment profond d’appartenir à une élite qui doit guider et donner le « LA » au monde musulman dans son sens le plus large. À partir des années 70 – et cela s’est envenimé ces dernières années – même si c’est la même idéologie et souvent les mêmes gens qui passent d’un mouvement à l’autre, il y a eu des oppositions entre les Frères musulmans et des groupes salafistes.

Je crois quand même qu’il y a une concurrence, sur le terrain, en ce qui concerne le leadership, entre ces mouvements salafistes au sens large et les Frères musulmans. Il est clair qu’aujourd’hui en Syrie, ce sont les salafistes qui ont davantage repris la main, et cela semble être aussi le cas en Irak. Le projet des djihadistes irakiens de l’État islamique correspond à un projet clairement « frériste », mais ce n’est pas sûr que les Frères musulmans reconnaissent totalement ce nouvel État qui est en train d’être créé.

À partir des années 80, alors que le mouvement était très militarisé, les Frères musulmans se sont davantage recentrés sur des finalités plus politiques, déléguant d’une certaine manière la question militaire, qu’ils finançaient ou adoubaient en sous-main. Aujourd’hui la situation, du fait de leur quasi-disparition en Égypte, est beaucoup plus confuse et complexe. Que pensent-t-ils de la proclamation de l’Etat islamique ? Difficile de le dire. Je pense qu’ils l’approuvent d’une certaine manière, mais ils ne peuvent pas le faire officiellement, c’est sûr. D’ailleurs, ils manquent aussi de représentation pour le faire.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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Michaël Prazan est un écrivain et réalisateur français, auteur de Frères Musulmans : Enquête sur la dernière idéologie totalitaire (Grasset, 2014).

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