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Mohammed, 24 ans, raconte son quotidien à Gaza sous les bombes

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Gaza, lors de la guerre de 2008-2009 entre Israël et le Hamas. (Crédit photo: ChameleonsEye / Shutterstock.com)

Pouvez-vous vous présenter ?

Je m’appelle Mohammed Suliman, j’ai 24 ans, je suis un travailleur des droits humains, et j’habite dans la ville de Gaza.

Pourquoi avez-vous décidé de rester à Gaza ces jours-ci ?

Parce qu’il est impossible de quitter Gaza. Personne ne peut partir en ce moment, toutes les frontières sont fermées. La frontière avec Israël est fermée depuis plusieurs années maintenant, et ne s’ouvre qu’en de rares occasions.

Pouvez-vous continuer à travailler la journée ?

Parfois, j’arrive à travailler et à écrire, mais nous n’avons pas tout le temps de l’électricité : nous avons entre 16 et 18 heures de coupure par jour, et nous avons de l’électricité seulement pendant 6 ou 8 heures. Nous restons chez nous, nous essayons de rester en sécurité, nous suivons les nouvelles à la radio. Quand j’ai de l’électricité, j’essaie d’écrire et je vais sur les réseaux sociaux pour tweeter ce qui se passe. En fait, nous sommes comme pris au piège ici.

Qu’entendez-vous et que voyez-vous dans les rues de Gaza, nuit et jour ?

Nous entendons les bombardements quotidiens dans les quartiers de Gaza, qui touchent parfois nos proches, nos familles. C’est assez effrayant. Les Palestiniens de Gaza sont devenues les cibles des avions israéliens et de l’artillerie israélienne. Plus de 700 personnes ont été tuées depuis le début du conflit, dont une grande majorité de civils, y compris des femmes et des enfants.

C’est vraiment clair, pour nous, que les civils sont des cibles des avions israéliens, pour faire pression sur les groupes militants palestiniens afin que ceux-ci abandonnent le combat. Ces derniers ont tué une trentaine de soldats israéliens sur le champ de bataille, lors de combats entre eux.

Mais les Israéliens ont répliqué par d’importants bombardements, sans faire de distinction entre les civils et les militants. Par exemple, plus de 70 personnes sont mortes à Chajaya, un quartier de Gaza, en une seule nuit dimanche dernier. Peut-on encore parler du droit d’Israël à se défendre ? Israël est plus fort dans ce conflit, et il commet des crimes contre l’humanité selon l’ONU.

« Je suis en sécurité. Cela fait quatre nuits qu’il n’y a pas d’électricité. Le bombardement devient beaucoup plus violent la nuit. Ce n’est que lorsque le soleil se lève que l’on peut rattraper un peu de sommeil. »

Que pensez-vous du blocus de Gaza par Israël ?

Cela fait sept ans qu’Israël impose un blocus à Gaza, territoire de 41 km de long. Ce blocus, selon les organisations internationales de défense des droits humains, est une punition collective contre la population palestinienne de Gaza. Israël, qui a une des armées les plus fortes du monde et l’arme nucléaire, occupe la Cisjordanie, bloque la population civile dans la bande de Gaza et tue des civils palestiniens. Voilà le tableau.

C’est le Hamas qui a commencé à lancer des roquettes sur Israël, mais cela justifie-t-il la réponse disproportionnée d’Israël sur la population civile palestinienne ? Le monde a besoin de savoir ce qui se passe. Cela ne se serait sûrement pas produit si Israël n’occupait pas les territoires palestiniens et ne bloquait pas Gaza. Le Hamas, jusqu’ici, a tué deux civils en Israël, ce qui est vraiment mal, car aucun civil ne devrait être tué, dans aucune des parties.

Comment le Hamas est-il perçu par la population de Gaza ?

Tout le monde ne parle que du Hamas et du terrorisme. Mais tous les Palestiniens de Gaza ne sont pas des terroristes. Le Hamas fait en effet partie de la société palestinienne. Certains peuvent approuver ce qu’il fait, mais nous pouvons aussi ne pas être d’accord avec la manière dont le Hamas combat Israël. Personnellement, je désapprouve les tirs de roquettes sur des villes israéliennes. Premièrement, parce que c’est mauvais de tuer des civils ; deuxièmement, parce que cela est inefficace, ce n’est pas la bonne manière de lutter.

Mais cela ne signifie pas que l’on doive exclure le Hamas de la société palestinienne. Le Hamas a un soutien important de la part de la population de Gaza. L’Occident voulait que nous votions démocratiquement, et je crois en effet que la démocratie est la meilleure manière de gouverner. Nous avons donc eu une expérience démocratique en 2006. Gaza a voté pour le Hamas en majorité. Il faut maintenant accepter de parler au Hamas et de s’asseoir à la table des négociations avec lui plutôt que de punir les civils palestiniens, de les isoler et de les abandonner à leur propre sort.

Pensez-vous qu’un cessez-le feu pourrait être pris dans les prochains jours ?

Je l’espère vraiment. J’attends que tout cela finisse. Personne ici n’est heureux de ce qui se passe. Nous avons tous peur. Cela fait déjà plus de quinze jours et nous n’en pouvons plus des bombardements et des morts qui s’accumulent. Nous attendons que cela s’arrête, mais cela finira seulement si le monde, les gouvernements occidentaux, acceptent d’accorder aux Palestiniens leurs droits.

Nous avons des droits, comme tout le monde. Le droit de circuler, le droit d’accès aux soins de santé, le droit à l’éducation. Près de deux millions de personnes vivent à Gaza. C’est l’un des endroits les plus densément peuplés du monde. Mais c’est fermé au nord et à l’est par Israël. Au sud, c’est fermé par l’Égypte. À l’ouest, il y a la mer et des navires de guerre israéliens. Les Palestiniens demandent la fin du blocus et l’ouverture des frontières. On ne parviendra pas à un cessez-le feu sans cela.

Nous voulons l’égalité des droits avec le reste du monde. Nous voulons coexister pacifiquement avec tous ceux qui vivent sur ces terres, en Israël, en Cisjordanie et à Gaza, juifs, musulmans et chrétiens. Nous voulons vivre ensemble comme des êtres humains égaux. Nous voulons un État séculier et démocratique pour tout le monde.

« Certains Israéliens veulent ma mort. Je pourrais mourir. Mais je ne veux pas votre mort. Je veux que nous vivions tous. Ensemble et égaux dans ce pays. »

Que pensez-vous de la couverture médiatique de ce conflit ?

La couverture médiatique est, heureusement, en train de changer. J’ai vécu sous les précédentes opérations israéliennes menées contre Gaza, en 2008-2009, puis en 2012, et maintenant je vis l’actuelle offensive. J’ai remarqué des changements dans la couverture des événements par les médias internationaux. Je pense que c’est surtout grâce aux médias sociaux qui permettent à l’opinion publique de s’exprimer et de dire autre chose que tous les grands médias, dont certains ont des discours biaisés ou sont ouvertement pro-Israël.

Aujourd’hui, sur les médias sociaux, il y a de plus en plus d’activistes ou de journalistes citoyens, sur le terrain, qui tweetent, envoient des vidéos, écrivent sur la situation à Gaza, donnant ainsi une information de première main sur ce qui se passe. Personne ne peut empêcher aux gens de voir cela : c’est pour ça qu’il faut ouvrir les yeux pour voir ce qui se passe vraiment à Gaza. C’est une manière de montrer autre chose que ce que les médias mainstream décrivent.

Y a-t-il des liens entre Israéliens et Palestiniens de Gaza ?

Il n’y a aucun moyen de rencontrer des Israéliens à cause du blocus, sauf si tu es chanceux et que tu peux partir à l’étranger, et ainsi rencontrer des gens. J’ai quelques amis en Israël. Ils sont généralement pro-Palestiniens, parfois plus que les Palestiniens eux-mêmes. Ils ne sont pas d’accord avec le gouvernement israélien, avec l’occupation des territoires palestiniens et avec le blocus de Gaza. Ils disent qu’ils veulent vivre avec nous de manière égale dans le pays.

Mais la majorité de la population de Gaza n’a pas de contact avec la population israélienne, de même qu’elle en a peu avec les Palestiniens de Cisjordanie. Nous sommes devenus comme deux entités, deux États séparés. La tentative de réconciliation entre le Fatah, qui gouverne la Cisjordanie, et le Hamas, qui gouverne la bande de Gaza, n’a pas plu à Israël, qui a répliqué. C’était juste après l’échec des discussions de paix, dont John Kerry avait été l’intermédiaire.

« Massacres absolus. Mon cœur saigne littéralement. La douleur est devenue trop dévastatrice pour que j’arrive à la partager ou à la tweeter. J’ai envie de hurler, hurler et hurler. »

Qu’est-ce qui vous a le plus marqué depuis le début de ces événements ?

C’était il y a quelques jours. Ce n’était pas le premier bombardement que je vivais. Mais cette fois-ci j’étais à Gaza dans mon appartement, et j’entendais des bombardements au loin, qui s’approchaient de plus en plus. Tout à coup, j’ai entendu des tirs et des énormes explosions tout près de là où j’étais. Plusieurs de mes fenêtres se sont brisées à cause de l’intensité de l’explosion. J’ai eu vraiment peur, j’ai dû me cacher dans un coin et j’ai couvert ma tête avec un coussin. Le lendemain, j’ai quitté mon appartement et j’ai rejoint ma famille dans son appartement, au nord de Gaza.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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Mohamed Suliman est un activiste des droits humains. Palestinien, il tweete très régulièrement depuis le début de loffensive israélienne sur la bande de Gaza, racontant au jour le jour la situation.

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