Site icon La Revue Internationale

Quel sera l’impact des sanctions occidentales contre la Russie?

[image:1,l]

Le président russe, Vladimir Poutine – Photo DR Shutterstock

JOL Press : Après avoir durçi le ton la semaine dernière, l’Union européenne a annoncé de nouvelles sanctions contre la Russie. Quelles sont-elles ?
 

Tatiana Kastouéva-Jean :  Après avoir procédé à des sanctions symboliques – dont la suspension de la participation de la Russie au G8 -, des sanctions très ciblées et personnelles dirigées contre les personnes que l’Occident jugeait responsables de la situation en Ukraine et de l’annexion de la Crimée, l’Union européenne est finalement passé au troisième train des sanctions contre la Russie.

Il s’agit de « sanctions sectorielles » qui consistent à frapper l’économie russe. En outre, une quinzaine de nouvelles personnes ont été frappées par les nouvelles sanctions de l’Union européenne dont les avoirs en Occident seront gelés. Ces personnes, qui seront interdites d’entrée sur le territoire des pays occidentaux, font partie de l’entourage proche de Vladimir Poutine, comme le directeur du FSB – Service fédéral de sécurité de la Fédération de Russie, l’ancien KGB –, le directeur du service de contre-espionnage, le secrétaire du conseil de sécurité, ou encore le président de la République de Tchétchénie.

Les sanctions visent également les entreprises – notamment de Crimée – qui ont changé de propriétaires de manière jugée illégale par l’Union européenne, et des institutions de la république auto-proclamée de Donestk. Les banques et les compagnies seront interdites d’emprunt sur les marchés financiers européens.

JOL Press : Les Etats-Unis aussi ont annoncé de nouvelles sanctions dans les domaines de l’énergie, la finance et les armes. Dans ce contexte, Barack Obama a déclaré que Washington n’était pas engagé dans une «nouvelle guerre froide» avec Moscou. A-t-on atteint le point culminant dans la dégradation des relations entre la Russie et les Etats-Unis ?
 

Tatiana Kastouéva-Jean : C’est impossible à dire…Le point culminant sera peut-être atteint si Vladimir Poutine décidait d’envoyer ses troupes dans l’Est de l’Ukraine. Quant à la déclaration de Barack Obama, le parallèle avec la Guerre Froide me paraît effectivement délicat.

Il s’agit ici d’un problème localisé, qui concerne un dossier. Il y a un niveau d’interdépendance important depuis la chute de l’URSS entre l’Union européenne et la Russie, moins les Etats-Unis, avec lesquels il y a eu des tentatives pour améliorer les relations (tentative de lancer la politique de reset en 2009).

A l’époque de la guerre froide, il y a avait deux blocs, chacun soudé à l’intérieur. Aujourd’hui, les oppositions existent dans le bloc occidental formé par l’Union européenne et les Etats-Unis. Et la Russie n’ pas de vrais alliés, prêts à la suivre dans la confrontation avec l’Occident.

Des sanctions économiques dont le but est politique
 

JOL Press : Quelles seront les conséquences de ces sanctions pour la Russie ?
 

Tatiana Kastouéva-Jean :  Les conséquences des sanctions financières ne se feront pas ressentir tout de suite, mais elles sont très importantes pour la Russie étant donné que les entreprises et les banques russes sont très endettées, surtout auprès des Occidentaux à hauteur de 750 milliards de dollars. C’est ce qu’on appelle la « dette corporative ». Ces  banques et compagnies frappées par la liste des sanctions auront donc des accès aux crédits limités et ne pourront pas emprunter au-delà de 90 jours. Certes, elles ne s’écrouleront pas en quelques jours : la Russie a des « coussins de sécurité » : elle dispose des réserves de change importants. Grâce au Fonds de réserve et au Fonds de bien-être national –  constitués pendant les années de la forte croissance économique, grâce à la rente pétrolière et gazière –  la Russie pourra endosser le choc à court-terme, comme cela avait été le cas lors de la crise économique et financière de 2008-2009.

Mais le problème des conséquences se pose à moyen et long termes…Cela suppose que tous les projets d’investissements de ces banques et compagnies soient révisés à la baisse. Une  série de mesures restrictives sera certainement prise pour survivre à cette période difficile. Les sanctions vont également induire une augmentation de la fuite des capitaux qui se chiffre depuis le début de l’année à 75 milliard de dollars – entre janvier et juin – soit deux fois plus que la même période l’année dernière. Ces sanctions entraîneront aussi la dégradation du climat d’investissement car, dans ces conditions,  les investisseurs nationaux et internationaux s’abstiendront de nouveaux projets d’investissements. Les sanctions vont accentuées toutes les tendances négatives que montre l’économie russe depuis 2013.

«Les Etats européens craignaient l’effet boomerang des sanctions»
 

JOL Press : Ces sanctions seront-elles suffisantes pour obtenir un changement de comportement de  la Russie, pointée du doigt pour son rôle déstabilisateur dans la crise ukrainienne ?
 

Tatiana Kastouéva-Jean : Toute la question est là…Le but de ces sanctions n’est pas du tout de mettre à genoux l’économie russe. Le but est politique. Par ces sanctions économiques, l’Union européenne et les Etats-Unis veulent obtenir le changement du comportement politique de Vladimir Poutine dans l’Est de l’Ukraine.

Rien n’est gagné pour le moment : Vladimir Poutine est aujourd’hui tiraillé par les pressions internationales, et en interne, certains représentants des structures de force le poussent à aller plus loin en introduisant des troupes en Ukraine. Je ne pense pas qu’aujourd’hui quelqu’un soit capable de prédire dans quel sens la balance penchera. Vladimir Poutine est prisonnier de ces pressions. Il est otage de sa propre politique qu’il a enclenchée sur l’Ukraine et va payer le prix de sa politique. Je ne pense pas qu’il s’attendait à une réaction si sévère et aussi unanime de la part de l’Occident. 

JOL Press : Le crash du Boeing de la Malaysia Airlines a-t-il précipité la réaction des puissances européennes, très divisées jusque-là sur la question des sanctions contre la Russie ?  
 

Tatiana Kastouéva-Jean : Oui, la chute du Boeing a contribué à souder la position des Etats européens jusqu’ici réticents pour prendre des sanctions dites sectorielles. Ils craignaient l’effet boomerang. Il y a une interdépendance économique, commerciale et financière très forte entre l’Europe et la Russie, beaucoup plus qu’entre la Russie et les Etats-Unis. Le business allemand avait toujours plaidé en faveur de la Russie, mais il y a quelques jours, le président du comité  allemand pour les relations avec l’Europe de l’Est a déclaré que la politique primait finalement sur l’économie.

Des représailles de la Russie ?
 

JOL Press : Y a-t-il un risque de représailles de la Russie face aux sanctions des puissances occidentales ?
 

Tatiana Kastouéva-Jean : Oui bien sûr, les Russes sont maîtres de sanctions asymétriques. Vladimir Poutine a déjà donné quelques éléments pour dire dans quel sens les représailles s’orienteront. Dès que la question des sanctions a été mise sur la table, le président russe a déclaré qu’il se pencher de près sur les partenaires occidentaux qui travaillent dans le secteur énergétique de la Russie. Mais la panoplie des représailles russes peut-être très large et imprévisible.

Propos recueillis par Louise Michel D. pour JOL Press

 

—————–

Tatiana Kastouéva-Jean est spécialiste du monde russe, et responsable du Centre Russie/NEI (Nouveaux Etats indépendants) de l’Ifri.

 

Quitter la version mobile