Site icon La Revue Internationale

Sommet des BRICS: vers un rééquilibrage de la gouvernance mondiale?

[image:1,l]
 
Les BRICS sont sur le point de se doter d’institutions financières rivalisant avec la Banque mondiale et le FMI (Photo: Shutterstock.com)
JOL Press : Que peut-on attendre du sommet de Fortaleza ?
 

Alexandre Kateb : Ce sommet marque une étape importante dans la voie de l’institutionnalisation des BRICS. En effet, à l’occasion de ce sommet seront officiellement créés la Banque de développement des BRICS et un fonds de réserve monétaire (Contingent Reserve Arrangement), dotés d’un capital de 100 milliards de dollars chacun. Ces deux institutions devraient jouer un rôle similaire respectivement à la Banque mondiale et au Fonds monétaire international (FMI), ce qui marque un tournant dans le rééquilibrage de la gouvernance mondiale en faveur des puissances émergentes.

Ce sommet traduit aussi l’exaspération de ces pays devant la lenteur des réformes des institutions de Bretton Woods et du contrôle qu’exercent toujours sur elles les Etats-Unis et leurs alliés européens. Il y aura en outre un sommet BRICS/Amérique latine qui permettra au Brésil de consolider sa stature de puissance régionale et d’envoyer un message fort au moment où certains doutent de la volonté de Dilma Rousseff de poursuivre la dynamique initiée par Lula.

JOL Press : Quels sont les rapports de force au sein des BRICS ? 
 

Alexandre Kateb : Il est certain que la Chine – deuxième puissance économique mondiale après les Etats-Unis (ou troisième puissance mondiale si on tient compte de la zone euro) – pèse de manière prépondérante dans le groupe des BRICS. Le sommet des BRICS suit de quelques jours les désormais classiques réunions du G2 entre la Chine et les Etats-Unis.

De plus, la Chine devrait avoir 41% du capital du Fonds monétaire des BRICS en faisant de facto un fonds essentiellement chinois. Mais la Chine a besoin des autres BRICS pour pousser son propre agenda d’affirmation globale. Elle a également retenu les leçons de l’histoire. De fait, aucune puissance n’est capable à elle seule de dominer la planète. Ce qui importe c’est d’influencer l’ordre mondial et de peser sur les normes qui encadrent (ou qui encadreront) tous les échanges politiques, économiques et environnementaux à l’échelle de la planète.

JOL Press : Faut-il s’inquiéter du ralentissement économique des BRICS ?
 

Alexandre Kateb : C’est vrai qu’on observe à des degrés divers un ralentissement économique des BRICS. Mais il ne faut pas les confondre avec les «cinq fragiles» qui incluent le Brésil, l’Inde, l’Afrique du Sud, la Turquie et l’Indonésie. En réalité, le ralentissement des BRICS reflète le ralentissement général de l’économie mondiale après la grande crise économique et financière de 2008-2012. Ce qui est inquiétant c’est surtout l’effet qu’aura la remontée des taux d’intérêt américains et européens sur ces économies émergentes, car elle rendra le financement de l’investissement et le bouclage des comptes externes plus difficiles.

JOL Press : Comment expliquer l’essoufflement économique des BRICS ?
 

Alexandre Kateb : La Chine ralentit mais c’est finalement assez sain. Cela correspond à une volonté de changement de modèle économique, un passage vers un modèle moins tiré par l’investissement dans les infrastructures et l’immobilier et plus basé sur la consommation des ménages et le développement des services. L’Inde a encore un énorme potentiel de croissance devant elle et le nouveau gouvernement pro-croissance et pro-business de Narendra Modi va tout faire pour réveiller ce potentiel. Le Brésil, la Russie et l’Afrique du Sud, grands exportateurs de matières premières, subissent le tassement du prix de ces dernières et l’épuisement d’un modèle de croissance tiré par la consommation et le crédit hérité des années 2000.

Ces pays peuvent et doivent se réinventer pour amorcer une nouvelle phase de croissance et de développement, plus durable sur le plan environnemental et plus inclusif sur le plan social.

JOL Press : Les BRICS pourraient-ils, dans un futur proche, être dépassés par leurs petits frères les MINT (Mexique, Indonésie, Nigeria, Turquie) ?
 

Alexandre Kateb : A ce stade, les MINT n’ont pas la capacité à challenger vraiment les BRICS. Ils sont tous d’une manière ou d’une autre vulnérables aux chocs extérieurs tout autant sinon plus que les BRICS. Le Mexique est de plus en plus lié aux Etats-Unis, c’est une sorte de réservoir de main-d’œuvre et de plateforme de sous-traitance industrielle pour ces derniers.

Le Nigeria se débat encore avec des problèmes de gouvernance et de sécurité lancinants qui pourraient hypothéquer son unité territoriale à l’avenir. Le précédent du Soudan et désormais celui de l’Irak sont dans les têtes. La Turquie est un Etat pivot tantôt tourné vers l’Europe, tantôt vers le Moyen-Orient et l’Asie. Elle n’a toujours pas réussi à définir son identité géopolitique et connaît actuellement une phase de repli sur elle-même.

L’Indonésie quant à elle est à mon sens la grande puissance émergente la plus prometteuse après les BRICS. Elle pourrait et devrait rejoindre ces derniers. C’est ma conviction !

Quitter la version mobile