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Après le bombardement de Gaza, qui va reconstruire?

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Dépendance
 

JOL Press : Quelle était la situation économique à Gaza avant ce nouveau conflit avec Israël ?
 

Frédéric Encel : Mauvaise. Il s’agit d’un territoire minuscule, enclavé, peu fertile, et surpeuplé. La bande de Gaza n’affiche pas une économie indépendante, importe quasiment tout, à commencer par l’énergie, les produits manufacturés, les matériels de construction et une partie importante de son alimentation. Un peu d’artisanat et d’agriculture constituent l’essentiel de ses exportations.

Si l’on ajoute à cela le blocus sélectif de son voisin israélien, et le blocus aujourd’hui absolument total de son autre voisin égyptien, Gaza dépend essentiellement de l’aide internationale. On ajoutera que la gouvernance du Hamas, qui a perpétré un putsch contre l’Autorité palestinienne le 15 juin 2007 et qui domine seul Gaza depuis, est simplement désastreuse, clientéliste et corrompue.

Du reste, une partie de l’aide extérieure, en fonds et en matériels, lui a servi non pas développer un tant soit peu le territoire au profit des civils, mais à construire des dizaines de tunnels sophistiqués et de rampes de lancement pour ses missiles…

JOL Press : Le vice-ministre palestinien de l’Economie estime que la guerre a causé entre 4 et 6 milliards de dollars de dégâts. Concrètement, qui va s’atteler à la reconstruction de Gaza ? Sur qui les Palestiniens vont-ils pouvoir compter ?
 

Frédéric Encel : Oui, c’est l’ordre d’idées, environ 5 milliards de dollars. Aucun autre choix possible que d’en appeler à des fonds internationaux, sachant que les Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza incarnent déjà, parmi toutes les populations aidées, la plus dotée au monde par habitant.

En 2007, à Paris, l’Autorité palestinienne avait ainsi reçu 7,7 milliards de dollars au titre d’un nouveau processus de paix avec Israël, celui d’Annapolis. Or ces fonds très importants seraient gérés de façon rationnelle et constructive par l’Autorité de Mahmoud Abbas, et a permis une vraie progression socio-économique de la petite partie de la Cisjordanie (les villes) sous son contrôle.  

Là, le problème est de savoir comment le Hamas, qui n’a jamais reconnu ni Israël, ni surtout les traités internationaux signés par Ramallah, gérerait des fonds dévolus à la reconstruction. Cette fois, ni l’Etat hébreu ni l’Egypte – et pas davantage les Etats arabes ni les membres permanents du Conseil de sécurité – n’accepteront qu’un quelconque Qatar verse à nouveau, à fonds perdus et sans contrôle, de quoi permettre au groupe islamiste palestinien de reconstituer son arsenal.
 

Surveillance drastique
 

JOL Press : Ces aides pourraient-elles être assorties de conditions vis-à-vis du Hamas ?
 

Frédéric Encel : Les conditions concerneront sûrement le choix des matériels de reconstruction. L’acier, le ciment, le béton, les outils de détection voire même des composants électroniques : tous ces produits risquent de faire l’objet d’une surveillance drastique d’Israël.

Or il est peu vraisemblable que le Hamas accepte de telles conditions. Mais est-il en position de choisir ? Autant la population le soutient plus ou moins en période de guerre avec Israël (elle n’a de toute façon pas le choix), autant elle pourrait le contester fortement s’il s’avérait incapable de l’aider à relever les ruines et à la nourrir correctement.

JOL Press : La bande de Gaza est-elle condamnée à rester sous blocus israélien ?
 

Frédéric Encel : Jusque-là, le blocus d’Israël a été clairement un échec. Preuve en a été la quantité et la qualité des moyens militaires offensifs et défensifs conçus en quelques années par le Hamas. Cela dit, l’une des faiblesses de ce blocus consistait dans les tunnels tolérés par l’Egypte.

Avec le nationaliste anti-Frères musulmans Abdel Fattah al-Sissi au pouvoir au Caire, cette histoire est terminée. En outre, le gouvernement israélien pourra difficilement justifier de la fin du blocus si le tiers des Israéliens continuent à vivre sous la menace des missiles du Hamas…

En définitive, je crois à un allègement pour tout ce qui concernera les produits non susceptibles d’emploi militaire. Dans tous les cas, l’idéal serait qu’un vrai processus de paix reprenne vite et sérieusement entre Israël et l’Autorité palestinienne, afin de parvenir enfin à la solution des deux Etats souverains côte à côte. Il faut réinjecter du politique, et donc de l’espoir.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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Frédéric Encel est docteur en géopolitique, professeur à l’ESG Management School et maître de conférences à Sciences Po. Il est l’auteur de plusieurs livres, dont Atlas géopolitique d’Israël. Aspects d’une démocratie en guerre (Autrement, 2008, nouvelle éd. revue et augmentée en 2012) et De quelques idées reçues sur le monde contemporain. Précis de géopolitique à l’usage de tous (Autrement, 2013).

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