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Au Yémen, les prétentions territoriales prennent le pas sur le destin national

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(Photo : Oleg Znamenskiy/Shutterstock.com)

Après plusieurs jours d’affrontements au Yémen, un accord de paix a été signé. Celui-ci prévoit notamment l’entrée de représentants chiites au gouvernement. Est-ce la fin de la crise ?
 

Franck Mermier : Par cet accord, les houthistes ont obtenu un gouvernement de technocrates dans lequel ils seront présents en tant que membres de leur parti politique, Ansar Allah (Les partisans de Dieu). Ce parti a obtenu des gains politiques extrêmement importants, notamment avec la démission du gouvernement. Mais à travers cela, ils souhaitent aussi consolider leurs gains territoriaux et militaires, déjà très conséquents. Ils ont aujourd’hui deux gouvernorats sous leur contrôle, ceux de Saada et d’Amran au nord de Sanaa et ils occupent également toujours une partie de la capitale.

Toutefois, les houthistes n’ont pas signé les articles de cet accord qui stipulent un retrait militaire des régions qu’ils occupent ou le désarmement de leurs milices. C’est donc de mauvaise augure pour la suite car ils ont surtout consolidé leur territoire politique. Ils revendiquent aussi un accès à la mer depuis leur territoire, sous la forme du port de Midi, non loin de la frontière saoudienne.

C’est donc une victoire pour les houthistes qui permet de freiner la crise actuelle et cela révèle également les faiblesses d’un pouvoir yéménite extrêmement divisé.

Les houthistes représentent-ils tous les chiites du Yémen ?
 

Franck Mermier : Au Yémen, on parle de Zaydites. Le Zaïdisme est une branche du chiisme qui est différente du chiisme duodécimain de l’Iran, de l’Irak ou encore du Liban. Cette version du chiisme ne se trouve d’ailleurs qu’au Yémen.

Tous les Zaydites ne sont cependant pas forcément sympathisants de la cause houthiste. La dimension confessionnelle est certes présente au Yémen mais c’est surtout la dimension politique qui est aujourd’hui prédominante.

Zaydites, indépendantistes au sud… Comment la population yéménite est-elle répartie ?
 

Franck Mermier : Au sud, si une grande partie de la population avait manifesté dans les années 2000 pour des revendications régionalistes ou séparatistes, il semblerait que la revendication séparatiste soit aujourd’hui minoritaire. Ce mouvement est désormais très divisé et certains sont également favorables à l’unité du pays.

Même complexité chez les Zaydites. Théoriquement, ces derniers devraient réunir tous ceux qui habitent les hauts plateaux du Yémen. Cependant, beaucoup ne se disent plus Zaydites depuis l’instauration de la République et la chute de l’imamat zaydite en 1962.

Etre Zaydite peut être interprété de manières bien différentes. D’un point de vue sociologique, on peut être zaydite si on est né dans cette région, mais ceux qui se réclament du zaydisme aujourd’hui sont une minorité difficilement mesurable. D’autant que dans les régions où ils sont présents et qui se caractérisent par la prégnance de structures tribales, une partie de la population ne se reconnaît pas dans le zaydisme. Le parti al-Islah, proche des Frères musulmans, s’est d’ailleurs développé dans ces régions, tout comme des courants salafistes.

Un gouvernement de technocrates devrait donc se mettre en place. Le président s’entourera également de conseillers parmi lesquels des indépendantistes du sud. Un tel gouvernement est généralement le signe d’une sortie de crise. Cela se produira-t-il ainsi au Yémen ?
 

Franck Mermier : Cela permettra en effet de sortir de la crise immédiate que traverse le pays et qui menaçait l’existence même de l’Etat yéménite.

Cependant, ce sont les forces qui prônent une forte décentralisation du Yémen qui ont, d’une certaine façon, gagné dans cet accord. Il y a une alliance objective entre les houthistes, surtout représentés au nord, et le mouvement sudiste, qui prend place dans les anciennes provinces du Yémen du Sud. Pour ces deux entités, cette alliance de circonstances a pour objectif de participer plus activement au pouvoir mais également de combattre le parti islamiste al-Islah.

En janvier dernier, le dialogue national lancé par le président Abd-Rabbo Mansour Hadi avait retenu le principe de la formation d’un Etat fédéral. Ce dernier finira-t-il par prendre forme ?
 

Franck Mermier : Beaucoup de leaders du mouvement sudiste se sont rapprochés du président, lui-même originaire du Sud, pour agir afin que ces revendications aboutissent.

Le découpage du pays en six provinces n’a pas satisfait toutes les ambitions des leaders politiques au Yémen, notamment celles des houthistes qui veulent leur accès à la mer et accroitre leur territoire. Certains dirigeants du mouvement sudiste voudraient qu’il n’y ait qu’une seule province rassemblant les provinces méridionales, contre les deux qui ont été créées à cette occasion, et ce pour préparer un éventuel référendum d’auto-détermination.

Toutefois, dans le temps, cette division et cette décentralisation peut également avoir des effets délétères sur la société puisque elles s’appuient sur un Etat faible qui a déjà du mal à contrôler sa capitale, comme on l’a vu ces derniers jours.

Dans cette affaire, le président a négocié avec le couteau sous la gorge et cette nouvelle division fédérale peut se retourner contre l’ambition de décentralisation démocratique qui l’avait sous-tendue et renforcer la mainmise de groupes politiques sur les régions au détriment de l’intérêt national.

Propos recueillis par Sybille de Larocque pour JOL Press

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