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Dans le match contre l’État islamique, le poids des mots et le choc des photos

C’est la ligne officielle : ne plus parler d’État islamique, mais préférer l’acronyme en arabe de ad-dawla al-islāmiyya fi-l-ʿirāq wa-š-šām, « Daech » ou « Da’ech’ ». Et vous pouvez bien, comme François Hollande – lors de sa conférence de presse à l’occasion du sommet sur la sécurité en Irak du 15 septembre à Paris – prononcer «Daech » « Dash », l’essentiel est de ne plus parler d’État islamique (EI), tel que s’est rebaptisé en juin dernier l’État islamique en Irak et au Levant (EEIL).

Il y a plusieurs explications, plusieurs motivations à cette lente évolution sémantique, à ce changement d’élément de langage.

La première, c’est la version officielle – et elle est tout à fait recevable… En utilisant le « nom officiel » de l’État islamique, le président de la République, le Premier ministre et les ministres donneraient l’impression – fâcheuse impression – de reconnaître un statut d’État à l’organisation djihadiste. L’ « État islamique » serait ainsi traité en égal par l’État français, et, d’une certaine manière, son avancée territoriale, son « califat » se retrouveraient légitimisés.

Frilosité des mots

Mais, ce n’est pas tout… Il semblerait aussi qu’au plus haut niveau de l’État – en France – on ne souhaiterait insister plus que de besoin sur la dimension islamique de cette nouvelle menace et cela pour des préoccupations beaucoup plus domestiques. Parler d’ »État islamique », ce serait prendre le risque d’encourager l’amalgame entre les musulmans non-djihadistes, les modérés, et les musulmans djihadistes, ce serait faire endosser à l’ensemble de la communauté musulmane de France la responsabilité des horreurs commises en Syrie et en Irak, et peut-être, un jour, ailleurs par ces djihadistes.

Nous n’affirmerons jamais trop que l’idéologie de l’État islamique et de l’ensemble des djihadistes est une perversion de l’Islam, un islamo-fascisme comparable, par de nombreux aspects – et notamment son aspiration totalitaire – aux formes les plus radicales du fascisme du siècle précédent (et l’on pense à un autre acronyme, le pire de tous jusque-là, na-zi). Nous ne répéterons jamais trop que tous les musulmans ne sont pas des djihadistes, qu’ils ne soutiennent pas tous l’État islamique. Mais, pour autant, nous n’oublierons jamais que c’est bien au nom de l’islam – fût-il un certain islam – et dans le cadre d’un djihad avec pour objectif l’instauration d’un califat, qu’agit l’État islamique.

Les musulmans en première ligne

Si la menace de l’État islamique est un « problème » pour le monde civilisé dans sa totalité, occidental ou non, il n’en reste pas moins que c’est aussi – et sans doute avant tout – un « problème » pour l’islam, l’ensemble des musulmans du monde. C’est d’abord de leur capacité à résister aux appels de l’État islamique que dépendra la capacité du monde entier à éradiquer cette menace.

En France, les représentants de la communauté musulmane se sont montrés tout à fait responsables. Si leur dénonciation de l’État islamique est sans surprise, sa rapidité, son inconditionnalité doivent être salués. Ailleurs, des appels à la fatwa ont été lancés contre les djihadistes, c’est remarquable.

C’est remarquable car chacun sait – pourquoi ne pas le reconnaître – que la « rue arabe », cette opinion publique transnationale pourrait – comme d’autres opinions publiques en proie aux fascismes – se laisser tenter par les sirènes djihadistes. D’ailleurs, ne se dit-il pas que certains pays arabes refuseraient d’envoyer des troupes au sol en Irak de peur que l’on observe des cas de fraternisation entre soldats arabes et djihadistes, qui se reconnaîtraient toujours comme frères musulmans…

Une réalité durable

Il faut répéter inlassablement que le djihad, ce n’est pas l’islam et qu’aucun musulman ne saurait tolérer que l’on revendique de sa religion, de son Dieu les exactions commises, aujourd’hui, en Syrie et en Irak. Et Il faut être tout autant intransigeant face à tous ceux qui pourraient, plus ou moins habilement, être tentés, dans ce contexte, d’alimenter les tentations islamophobes.

Mais il faut surtout appeler un chat un chat, un terroriste un djihadiste et « Daech » ou l’État islamique la plus grande menace à laquelle se trouve confrontée l’Humanité depuis les facheux –isme de la première moitié du XXème siècle. Assez d’« éléments de langage », de la lucidité et du courage…

En termes de lucidité, nous ne saurions d’ailleurs que trop recommander – malgré les horreurs qu’elles illustrent – le reportage réalisé par le journaliste palestinien Medyan Dairieh pour Vice News.

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