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En Iran, la volonté de promouvoir un «Internet halal» perdure

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Comment les internautes contournent-ils la censure en Iran ? – Photo DR Shutterstock

JOL Press: Une récente étude du ministère iranien des Sports et de la Jeunesse révèle que sur les 23 millions de jeunes internautes iraniens, près de 70% contourneraient la censure grâce à des logiciels. Aujourd’hui, quelle est l’ampleur de la censure sur le web iranien ?
 

Clément Therme: La censure sur Internet en Iran est très vaste, elle revêt à la fois une dimension idéologique et une raison d’être géopolitique. En raison de l’idéologie religieuse, elle concerne notamment des sites internet à contenu pornographique. La dimension géopolitique se traduit par l’interdiction des sites d’information financés par des pays étrangers, comme les Etats-Unis et certains gouvernements européens comme la France et la Hollande. Il s’agit de l’un des aspects des stratégies de changement de régime de l’Occident contre la République islamique d’Iran : c’est donc, dans ce cas, une censure défensive face à ce qui est perçu par les autorités de Téhéran comme une « invasion culturelle occidentale » en Iran.

Toute une série de sites financés par des gouvernements étrangers – et dans lesquels travaillent les Iraniens en exil – comme la BBC en persan, Roozonline, Radio Farda, Voice of America, sont censurés en Iran.

Le problème concerne surtout les blogs tenus par les journalistes et les citoyens iraniens qui veulent exprimer leurs idées sur Internet et qui ignorent la ligne rouge à ne pas franchir… Il n’y a pas vraiment de règles claires.

JOL Press : Comment les internautes contournent-ils la censure en Iran ?
 

Clément Therme: Pour contourner la censure, les Iraniens peuvent avoir recours au logiciel appelé « filter shekan » qui permet d’accéder aux sites interdits. Mais cela ralentit fortement la connexion, déjà lente en Iran. Cela s’explique par des préoccupations « morales » selon les termes officiels du gouvernement iranien, et des menaces de changement de régime émanant de l’Occident. Cela fait partie d’une volonté de promouvoir un Interner islamique, « halal » comme une alternative à l’Internet dominé par les Etats-Unis.

JOL Press : La justice iranienne a récemment exhorté le gouvernement à interdire les applications Viber, Tango et WhatsApp. Le président Hassan Rohani avait prôné plus de souplesse et de liberté…Sa marge de manœuvre est limitée ?
 

Clément Therme: Actuellement, il y a une tension dans le système politique iranien puisqu’un président modéré, – Hassan Rohani – a été élu. Cela complique la perception qu’ont les citoyens et les journalistes de la censure. Il y a une impression de « libéralisation », de plus de souplesse et de flexibilité, mais en même temps, ce n’est pas le président qui est en charge de contrôler Internet et de définir les règles de « l’internet halal », mais le pouvoir judiciaire contrôlé par Ali Khamenei, le Guide suprême de la révolution islamique. Par conséquent,  le brouillage est encore plus important…

JOL Press: Y-a-t-il eu des avancées en termes de liberté du web depuis l’arrivée d’Hassan Rohani au pouvoir ?
 

Clément Therme: C’est assez paradoxal car le président Hassan Rohani, le guide suprême et le ministre des affaires étrangères ont un compte sur Facebook et Twitter, alors que ces réseaux sociaux sont interdits en Iran. Pour pouvoir ne pas respecter les règles, il faut donc avoir la confiance du système. Internet est un outil de propagande pour l’Etat iranien, comme il est un outil de propagande pour les Etats étrangers vis-à-vis de la population iranienne. C’est ce qu’on appelle en Iran, la « guerre psychologique de l’Occident », avec des médias occidentaux qui diffusent des informations critiques vis-à-vis des autorités de la République islamique via la télévision et les journaux en persan basés à l’extérieur des frontières iraniennes.  Dans le même temps, l’Iran développe ses propres capacités de projection de son message médiatique : c’est une instrumentalisation de l’information à la fois en Occident vis-à-vis de la population iranienne, et du gouvernement iranien vis-à-vis des pays occidentaux,  avec une volonté de contrôler les flux d’information de chaque côté. 

Propos recueillis par Louise Michel D. pour JOL Press

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Chercheur associé à l’EHESS et spécialiste de l’Iran, Clément Therme a dirigé le numéro « Iran: une nouvelle donne? » de la revue Confluences Méditerranée

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