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Irak: pourquoi l’Allemagne n’est pas prête à mener des frappes aériennes

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(Crédit photo: 360b / Shutterstock.com)

JOL Press : Quelle stratégie militaire l’Allemagne a-t-elle choisi d’adopter en Irak contre les djihadistes de l’EI ?
 

Yves Boyer : L’Allemagne n’a pas déployé de forces aériennes comme la France ou les États-Unis. Elle a néanmoins accepté de fournir des armes aux combattants kurdes d’Irak, les peshmergas, ce qui veut dire qu’elle participe à l’effort qui consiste à repousser les djihadistes en aidant les Kurdes à se battre contre l’EI.

JOL Press : Pourquoi n’a-t-elle pas choisi de mener des frappes aériennes en Irak ? L’armée allemande est-elle « frileuse » ?
 

Yves Boyer : Ce n’est pas l’armée allemande qui décide, c’est le pouvoir politique. Il faudrait que la chancelière Angela Merkel décide d’intervenir, par exemple par la voie aérienne, et qu’il y ait ensuite un débat au Parlement allemand, le Bundestag. On dit souvent que l’armée allemande est une armée parlementaire.

La tradition de l’Allemagne, jusqu’à maintenant, est d’être extrêmement prudente pour des raisons historiques que l’on peut comprendre, et de ne pas employer la force en dehors de la zone européenne.

Ce n’est pas tant l’armée allemande, la Luftwaffe, qui est « frileuse », puisque ce n’est pas elle qui décide mais le pouvoir. Par ailleurs, l’armée n’a peut-être pas les moyens d’exécuter des frappes dans la partie nord de l’Irak. Cela suppose de déployer des avions, d’avoir des moyens de renseignement et des moyens de ravitaillement en vol. Tout cela est complexe, et ce sont finalement surtout les États-Unis, le Royaume-Uni et la France qui ont ces capacités-là.

JOL Press : Où en sont les autres armées européennes dans cette guerre ?
 

Yves Boyer : Les armées européennes ont tellement diminué leur budget militaire qu’il est compliqué pour elles d’aller là-bas. Ce sont des opérations très complexes, qui nécessitent des moyens, des ressources et du savoir-faire.

Autant certaines armées européennes peuvent agir dans leur zone de proximité immédiate, autant c’est plus compliqué en dehors de leur zone. On ne mesure pas les effets dramatiques des baisses de budget militaire qui empêchent souvent d’agir dans ces cas-là.

Au-delà des aspects politiques évoqués dans le cas de l’Allemagne, qui dispose d’une armée « parlementaire », les choses sont différentes au Royaume-Uni et en France, où c’est l’exécutif qui décide avant que le Parlement ne soit consulté (et il y a généralement consensus). La chaîne de commandement est alors beaucoup plus rapide.

JOL Press : Pensez-vous que l’opinion publique allemande soit prête à faire la guerre ?
 

Yves Boyer : Je pense qu’ils ne sont pas prêts à s’impliquer. Il y a une implication allemande en matière de lutte antiterroriste au sens policier [400 ressortissants allemands seraient partis faire le djihad en Irak et en Syrie, ndlr] mais pour le reste, l’opinion allemande, même si elle n’est pas forcément pacifiste, ne suit pas l’idée d’intervention outre-mer comme on la pratique soit au Royaume-Uni soit en France.

Lors de l’intervention en Libye en 2011, les Allemands se sont par exemple abstenus au Conseil de sécurité. Et lorsque l’OTAN a envoyé quelques moyens complémentaires, notamment des Awacs [avions de détection, ndlr], l’Allemagne a exigé que les équipages allemands soit retirés de ces Awacs qui participaient à la surveillance du ciel libyen.

C’est un pays qui n’est pas du tout dans la tradition militaire. Il y a eu l’ISAF (forces qui participaient à la stabilisation de l’Afghanistan), dans lequel il y avait un contingent allemand, mais l’opinion allemande savait de quoi il s’agissait. Là, l’opinion est plutôt hostile à faire la « guerre » (même si le terme est un peu fort), ou en tout cas extrêmement hésitante.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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Yves Boyer est directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS). Ses domaines d’expertise sont la géopolitique, les doctrines militaires, la politique de sécurité et de défense de l’Union Européenne, la politique de défense américaine, l’OTAN, l’évaluation des potentiels et des équilibres militaires et la dissuasion nucléaire.

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