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Khorasan: les djihadistes qui devraient effrayer l’Occident plus que l’EI

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Le drapeau du groupe islamiste du Front al-Nosra, dont le chef de Khorasan est issu. (Photo : Shutterstock)

 

Khorasan, c’est le nom d’un groupe djihadiste évoqué pour la première fois publiquement cette semaine par Washington. Le chef du renseignement américain, James Clapper, a parlé le 18 septembre d’ « une autre menace potentielle » pour les Etats-Unis, tout aussi dangereuse que l’EI.

Tout aussi dangereuse, voire plus… Si l’Etat islamique reste d’abord concentré sur une stratégie de conquête de territoire en Irak et en Syrie (le « califat »), Khorasan, lui, a pour objectif premier de frapper l’Occident. Selon des informations du Washington Post, le groupe affilié à Al-Qaïda, qui aurait conclu un partenariat avec des fabricants de bombses yéménites, préparerait un « nouveau 11 Septembre ».

Disposant des moyens militaires du commandement central d’Al-Qaïda dont il est une émanation, Khorasan recruterait aussi des combattants occidentaux pour perpétrer des attentats aux Etats-Unis et en Europe.

Sur ce groupe djihadiste très peu médiatique – à l’inverse de l’Etat islamique qui se répand en messages belliqueux sur les réseaux sociaux et qui met allègrement en scène les otages qu’il décapite -, l‘éclairage de Mathieu Guidère.

 

JOL Press : Que signifie le nom du groupe Khorasan et d’où vient-il ?

 

Mathieu Guidère : Le groupe Khorasan a pris le nom médiéval de l’ancienne province du califat abbasside (750-1258) appelée Khurasan, qui englobait à l’époque l’Afghanistan actuel, le Turkmenistan, l’Ouzbékistan et le Tadjikistan. Mais c’est aussi le nom d’une région qui se trouve aujourd’hui au nord-est de l’Iran et qui a vu naître le groupe.

Pour tous ses membres, ce nom possède une double signification : historique avec une référence au Moyen-Âge, et territoriale avec un renvoi à la région d’origine.

Mais il faut préciser un point : même s’il est né en Iran après la mort de Ben Laden en mai 2011, c’est un groupe formé majoritairement de combattants sunnites que l’Iran a laissé prospérer sur sa frontière nord pour l’utiliser, par la suite, contre les monarchies sunnites du Golfe, que ce groupe combat dans la droite lignée d’Al-Qaïda.

JOL Press : Ce groupe a donc des liens avec Al-Qaïda ?

 

Mathieu Guidère : Oui, ce groupe est majoritairement formé de combattants d’Al-Qaïda qui ont fui l’Afghanistan à partir de 2009, à la suite de la campagne massive d’assassinats ciblés lancés par l’Administration Obama contre les zones tribales pakistano-afghanes où ils étaient cachés.

Après la mort de Ben Laden en mai 2011, ces combattants se sont établis au nord-est de l’Iran et se sont rassemblés sous le commandement d’un certain Mohsen Al-Fadli, que Ben Laden considérait comme son fils spirituel.

JOL Press : Qui est le chef de Khorasan ?

 

Mathieu Guidère : Mohsen Al-Fadli est un Koweitien, né en 1981, issu d’une riche famille, qui s’est engagé très tôt dans le djihad et qui était très proche de Ben Laden.

A 17 ans, il est parti en Afghanistan pour rejoindre Al-Qaïda où il a reçu pendant deux ans un entraînement dans les camps de l’organisation. En 2000, alors qu’il a seulement 19 ans, il a reçu pour mission de perpétrer un attentat contre le Forum Mondial du Commerce qui se tenait à Doha cette année-là, mais il a été arrêté par les autorités koweitiennes, juste avant de passer à l’action. En raison de son jeune âge et de ses liens avec des notables du régime, il est innocenté et relâché sans poursuites.

Mais il est de nouveau arrêté en 2003 parce que son nom apparaissant parmi les donateurs privés ayant financé l’attentat au Yémen contre l’USS Cole. Il écope alors de cinq ans de prison ferme, confirmés en appel, mais cassés par la cour de cassation koweitienne.

De nouveau libre, il prend contact avec la branche d’Al-Qaïda en Irak, sous occupation américaine, et se met au service de son chef, le Jordanien Abou Moussab Al-Zarqawi (tué en juin 2006 par un raid américain). Celui-ci lui demande de financer l’attentat contre le chef du Conseil supérieur de la révolution islamique en Irak, Mohamed Baqir Al-Hakim. Mais les services de renseignement koweitiens interceptent les échanges et l’arrêtent pour soupçon de financement du terrorisme. Faute de preuves suffisantes, il est libéré pour la troisième fois, mais son nom est désormais inscrit sur la liste des personnes recherchées par les Saoudiens et par les Américains.

Il s’enfuit alors en Afghanistan en passant par l’Iran et rejoint les zones tribales où il s’installe de 2005 à 2008. Après l’élection d’Obama, il est visé à plusieurs reprises par des frappes de drones, ce qui le pousse à se réfugier en Iran. De là, il supervise pour Ben Laden le financement d’Al-Qaïda et organise un réseau de collecte de fonds auprès de donateurs privés dans les pays du Golfe. En 2012, l’administration américaine le désigne officiellement comme le chef d’Al-Qaïda en Iran et met sa tête à prix pour sept millions de dollars. 

Mais en août 2013, avec l’élection d’un nouveau président modéré en Iran, il est poussé au départ par les services secrets iraniens. C’est là qu’il rejoint la Syrie, en pleine guerre civile, avec tout son groupe, une centaine de combattants aguerris, tous membres d’Al-Qaïda de longue date.

JOL Press : Quel rôle joue-t-il en Syrie ?

 

Mathieu Guidère : Al-Fadli s’intègre d’abord au groupe djihadiste syrien appelé le Front Al-Nosra, mais en gardant son autonomie de commandement. Rapidement, le chef du Front Al-Nosra, Mohamed Al-Joulani, le désigne comme responsable du financement en raison de ses connexions et réseaux au Koweït et dans les autres pays du Golfe. Il sert alors d’intermédiaire pour le transfert des fonds des donateurs privés et leur distribution entre les différents groupes islamistes et jihadistes.

Ensuite, il apparaît également comme le principal artisan du rapprochement entre le Front Al-Nosra et Al-Qaïda central. C’est lui qui pousse Al-Joulani à rattacher son groupe à Al-Qaïda pour mieux bénéficier de son réseau et de ses financements. Mais les deux hommes ne sont pas d’accord sur les objectifs : « jihad local » (contre le régime syrien) ou bien « jihad global » (contre les Occidentaux). Al-Fadli finit par prendre ses distances avec Al-Joulani et renforcer les positions de son propre groupe, Khorasan.

Début 2014, ce groupe apparaît comme l’un des mieux financés et des mieux armés, mais, contrairement à l’hyper-médiatisé Etat islamique, il communique peu sur ses actions.

On sait seulement que les combattants étrangers refusés par le Front Al-Nosra étaient recherchés par le groupe Khorasan dont le chef, Al-Fadli, rêve de les utiliser pour perpétrer un « grand attentat » contre l’Occident, en souvenir de Ben Laden. Le problème est que les djihadistes étrangers en provenance d’Occident préféraient rejoindre l’EI…

JOL Press : Le groupe Khorasan est donc un ennemi de l’Etat islamique ?

 

Mathieu Guidère : Al-Fadli a poussé le chef d’Al-Qaïda, l’Egyptien Ayman Al-Zawahirî, à refuser l’union proposée par l’EI au Front Al-Nosra. Il a également soutenu les combats fratricides contre l’Etat islamique et, même, les bombardements récents de la coalition internationale. Pour lui, l’Etat islamique se fourvoie dans la volonté de restaurer le califat et oublie l’ennemi prioritaire, l’Occident.

C’est donc tout naturellement que le ciblage de l’Etat islamique a bénéficié directement au groupe Khorasan. Les djihadistes circulent d’un groupe à l’autre, au gré des frappes et de la focalisation des Occidentaux sur l’un ou l’autre groupe.

Aujourd’hui, pendant que l’EI subit les bombardements, le groupe Khorasan engrange les soutiens et tente de convaincre les combattants étrangers de l’EI de le rejoindre, avant qu’il ne soit trop tard, pour mener des attentats contre les Occidentaux.

Ce sont des vases communicants et le groupe Khorasan sera peut-être demain le plus grand danger contre les démocraties occidentales, comme une sorte de dommage collatéral de leur intervention en Irak et en Syrie
 

Porpos recueillis par Coralie Muller pour JOL Press

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Mathieu Guidère est islamologue spécialiste de géopolitique et des groupes terroristes.
 

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