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Moyen Orient en crise: la Jordanie tiendra-t-elle encore longtemps?

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(Crédit : Ahmad A Atwah/Shutterstock.com)

Selon le roi Abdallah, la montée en puissance de l’Etat Islamique aurait pu être évitée si l’Occident était intervenu plus tôt pour aider les premiers groupes islamistes en Syrie. Peut-on être sûr de cela ?
 

Barah Mikhaïl : Le noyau de l’Etat islamique était en germe depuis le début des évènements en Syrie en 2011, pour ne pas dire avant si l’on prend en considération « l’expérience » al-Qaïda en Mésopotamie.

Mais même si l’on ne peut refaire l’histoire, dire qu’un soutien initial aux groupes islamistes aurait permis de contrer l’émergence de l’Etat islamique ne se défend qu’en partie. Certes, l’Etat islamique a pu profiter d’une situation de chaos pour remplir un vide en Syrie, mais son activité en Syrie ne suffit pas à expliquer son expansion soudaine et fulgurante en Irak.

Et force est de constater que l’on manque encore d’éléments fiables pour expliquer le secret de ce potentiel auquel peut prétendre l’Etat islamique. Cela étant dit, soutenir plus avant les premiers groupes islamistes en Syrie n’aurait que participé de la fragmentation du champ des acteurs syriens. Ce qu’il aurait fallu faire, c’est soutenir davantage les groupes d’opposition dédiés à un projet national constructif, et montrer plus de détermination à promouvoir les modalités d’accord entre le régime syrien – quoique l’on puisse penser de lui – et ses opposants, dont les « islamistes modérés ».

Il y a donc certes une responsabilité partagée par plusieurs acteurs sur le dossier syrien, mais dire qu’un soutien franc aux islamistes aurait permis de contrer l’affirmation de l’Etat islamique revient à faire bien des raccourcis.

Quel danger représente aujourd’hui l’Etat Islamique pour la sécurité de la Jordanie ?
 

Barah Mikhaïl : D’un point de vue factuel, on ne peut vraiment parler d’un risque direct en Jordanie de la part de l’Etat islamique, quand bien même Abu Musab al-Zarkawi, ex-leader de al-Qaida en Mésopotamie, était lui-même jordanien. Celui-ci aspire à inclure la Jordanie dans ses territoires d’expansion.

Mais l’avantage de la Jordanie, c’est que, outre son système sécuritaire solide, elle ne semble pas disposer de beaucoup d’acteurs locaux qui seraient en phase avec l’Etat islamique et ses orientations. Il y a évidemment toujours un risque de voir certains acteurs tenter de favoriser une continuité pour l’Etat islamique sur le territoire jordanien, mais ceux-ci ne semblent en rien dominer, pas même au sein du Front de l’Action islamique, principale force d’opposition au roi. L’Etat islamique ayant pour sa part d’autres chats à fouetter tant en Irak qu’en Syrie, il faudrait vraiment une grande surprise pour qu’une éventuelle proclamation par celui-ci de sa détention d’une assise en Jordanie puisse être de surcroît suivie d’une fragmentation territoriale franche sur les modèles syrien ou irakien.

Au niveau régional, quelles sont les ambitions de la Jordanie ?
 

Barah Mikhaïl : La Jordanie aspire surtout à garantir sa propre stabilité et à éviter les risques de contamination de la situation régionale sur son propre territoire. Elle voit évidemment d’un très mauvais œil l’Etat islamique, et cela ne s’explique pas seulement par son tropisme pro-occidental. D’un point de vue gouvernemental comme populaire, la frontière avec les jihadistes est étanche.

Mais la Jordanie est aussi un pays pauvre, et c’est pourquoi elle se voit souvent dans l’obligation de composer avec les demandes de ses partenaires occidentaux et de ceux du Golfe afin de se garantir une manne financière en retour.

La Jordanie pourra-t-elle encore longtemps incarner la stabilité au cœur du monde arabe ?
 

Barah Mikhaïl : La Jordanie n’a qu’une stabilité apparente, dans les faits, les tensions sont très vives au niveau interne, principalement du fait des désaccords prévalant entre le roi et le gouvernement d’une part, et le Front de l’Action islamique d’autre part.

Sont principalement en cause les options pro-occidentales du royaume, mais aussi la situation socio-économique critique du pays. Pour autant, si les risques de déstabilisation sont effectifs en Jordanie, on voit toujours mal pour l’heure ce qui pourrait mettre le feu à cet apparent baril de poudre. L’instabilité est telle à niveau régional que même les plus fervents opposants au roi et à sa politique veulent toutefois privilégier la notion de sauvegarde des intérêts nationaux et éviter d’entrer dans une situation qui pourrait « irakiser » la Jordanie. Mais reste à savoir si ce statu quo sera tenable à terme.

Propos recueillis par Sybille de Larocque pour JOL Press

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