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Otage français en Algérie: qui sont les Soldats du califat?

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JOL Press : GIA, Al-Qaïda, EI… Quel est l’héritage des Soldats du califat ? Comment ce groupe s’est-il construit ?

 

Mathieu Guidère : Le groupe des Soldats du califat est un groupe relativement récent avec cette dénomination. Il vient de la guerre civile algérienne. Il a été fondé dans les années 1995 par un Algérien, vétéran du djihad en Afghanistan, qui s’appelle Gouri Abdelmalek, alias Khaled Abou Souleimane.

Ce dernier a rejoint à partir de 1998 le GSPC (le Groupe salafiste pour la prédication et le combat), qui va, à partir de 2006, devenir Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi). C’est donc tout naturellement que le groupe qui faisait partie du GSPC intègre également Al-Qaïda, et va être affecté dans la région de Thenia, au nord-est de l’Algérie, la zone de Kabylie.

Depuis, il est toujours dirigé par Khaled Abou Souleimane, qui, il y a environ un mois, va demander au commandement d’Al-Qaïda de rallier l’Etat islamique (EI) en Irak et en Syrie. Ce que Al-Qaïda va refuser puisque les deux groupes sont des concurrents. Il va donc faire sécession, et déclarer son allégeance à Baghdadi, le chef de l’Etat islamique, et va transformer le nom de sa brigade pour lui donner ce nom qui est Soldats du Califat en Algérie.

JOL Press : Que savons-nous sur le chef des Soldats du califat ?

 

Mathieu Guidère : Khaled Abou Souleimane est un homme d’une quarantaire d’années, vétéran de la guerre civile algérienne, qui est passé par la quasi totalité des groupes existants. C’est un personnage considéré plutôt parmi les radicaux, qui ont participé à un certain nombre de massacres dans les années 1990 sur les populations civiles.

Il fait partie du commandement central d’Aqmi, c’est-à-dire de ce que l’on appelle le Conseil des chefs. A partir de juillet dernier, il a commencé à prendre véritablement ses distances avec Al-Qaïda, et a fini par rallier la tendance djihadiste de l’Etat islamique, qui a pour objectif la création d’un Etat islamique et d’un califat.

JOL Press : Quelles sont les capacités militaires des Soldats du califat et combien ceux-ci comptent-ils d’hommes ?

 

Mathieu Guidère : Les soldats du Califat constituent un groupe relativement mineur. Ils représentent une brigade dans la terminologie d’Aqmi, ce qui signfie qu’il y a environ une centaine d’hommes, cachés dans les maquis des montagnes de l’Atlas de cette région du nord-est de l’Algérie.

Leur armement provient essentiellement des prises faites sur l’armée algérienne au cours des attentats qu’ils perpètrent contre les militaires algériens. Il y a également une partie de leur capacité militaire qui provient de la zone libyenne où un trafic d’armes prolifère depuis 2011.

Reste que, globalement, on ne peut pas dire que ce soit aujourd’hui un groupe majeur, capable de mener de grandes actions militaires ou terroristes en dehors de sa zone d’influence qui est le nord-est de l’Algérie.

JOL Press : Il n’est donc pas à craindre que le ralliement des Soldats du califat puisse être déterminant dans la lutte qui oppose en Irak et en Syrie la coalition internationale à l’EI ?

 

Mathieu Guidère : Non. Absolument. Ce ralliement ne risque pas d’affecter la coalition sur le terrain. Par contre, il éparpille la menace, et permet à Etat islamique de projeter sa puissance de nuisance au-delà des frontières de la Syrie et de l’Irak.

Ce ralliement représente par ailleurs un précédent fâcheux. On va voir de plus en plus de groupes, qui étaient auparavant dans la mouvance Al-Qaïda, faire comme ce groupe là et rallier l’EI pour se déclarer Soldats du califat : au Maroc, en Libye, en Tunisie et ailleurs. C’est une dynamique terroriste qui est en place aujourd’hui. C’est là le véritable danger pour les forces de la coalition.

JOL Press : Sait-on combien d’autres groupes islamistes ont rejoint les rangs de l’EI ?

 

Mathieu Guidère : Pour l’instant, il y a au moins deux groupes qui étaient auparavant membres d’Aqmi qui ont fait allégeance à l’EI, en Egypte et en Libye.

Dans les autres pays, il y a des groupes qui ont déclaré leur intention mais qui n’ont pas encore formellement fait allégeance à l’Etat islamique. Le plus célèbre étant le groupe Boko Haram, qui a déclaré le califat sur la région du nord du Nigeria. On ne sait pas exactement aujourd’hui si celui-ci est directement dépendant du califat de Mossoul déclaré par le chef de l’Etat islamique ou bien s’il s’agit d’un califat concurrent.

JOL Press : En quoi consiste une déclaration d’allégeance à l’EI ?

 

Mathieu Guidère : Une déclaration d’allégeance consiste à se mettre sous l’autorité d’un chef, de mettre ses armes et ses hommes sous le commandement de quelqu’un d’autre, en l’occurence Baghdadi, le chef de l’Etat islamique. Ce qui signifie qu’à chaque fois que Bagdhadi va donner un ordre, il va être reçu et exécuté par tous ceux qui lui ont fait allégeance quel que soit l’endroit où ils se trouvent dans le monde. Cela concerne également l’envoie de combattants si celui auquel le groupe a prêté allégeance le demande. 

C’est un rôle d’exécutant et de subordonné. Le système d’allégeance est un système médiéval de la culture arabo-islamique, qui correspond globalement à ce que nous connaissions en Occident avec le suzerain et le vassal durant le Moyen-Âge.

JOL Press : Pourquoi le terrorisme perdure-t-il en Kabylie ?

 

Mathieu Guidère : Le terrorisme en Kabylie est résiduel car c’est une zone très difficile d’accès, où les combattants, qui y sont installés depuis une vingtaine d’années, ont une maîtrise, une connaissance exceptionnelles du terrain. Ils ont construit des tunnels, ils ont creusé dans la montagne des caches…

L’armée algérienne continue de faire des actions contre ces groupes, mais, il faut bien dire qu’elle n’a jamais réussi véritablement à en venir à bout ; plus elle tue, plus le maquis se nourrit d’un certain nombre de frustrations, de haines, de colères, en particulier dans cette région abandonnée par le pouvoir central.

Ce qui fait qu’aujourd’hui, même si l’armée algérienne continue globalement de tuer la moitié des combattants chaque année, le maquis continue de se nourrir constamment des nouvelles recrues que fait Aqmi ou d’autres groupes qui sont anti-gouvernement et anti-régime sur place.

JOL Press : Depuis plus de dix ans et la fin de la guerre civile, tout l’état-major d’Aqmi a fait des montagnes de l’Est algérien son sanctuaire. Selon certains chercheurs, Alger ne chercherait plus vraiment à éradiquer cette présence djihadiste en Kabylie qui permettrait de justifier une politique sécuritaire dans le pays. Cela vous paraît-il fondé ?

 

Mathieu Guidère : Je ne peux pas faire de procès d’intention. Je constate simplement que, depuis une vingtaine d’années, les militaires algériens n’ont jamais vraiment réussi à supprimer ces groupes.

Reste que l’armée leur fait subir des pertes de l’ordre de 50% de leurs effectifs chaque année.

Il est clair également que la présence de ce terrorisme résiduel, qui ne menace pas véritablement ni l’économie ni le pouvoir algériens, permet effectivement aux militaires algériens de justifier un certain état de gouvernance tout à fait particulier.

 

Propos recueillis par Coralie Muller pour JOL Press

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Mathieu Guidère est islamologue spécialiste de géopolitique et des groupes terroristes. 

 

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