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Royaume (dés)uni: plutôt que l’Écosse, si Londres devenait indépendant…

Historique. Une victoire du « Yes » au référendum organisé en Écosse jeudi 18 septembre signerait l’arrêt de mort du Royaume-Uni après 307 ans d’union. D’outre-tombe, Bonnie Prince Charlie, le dernier prétendant au trône d’Écosse à avoir porté les armes contre Londres, pourra triompher, Alex Salmond et ses troupes l’auront vengé.

Chacun sera libre de porter au crédit ou au débit – c’est selon… – des indépendantistes écossais la dislocation d’une des constructions politiques les plus réussies et fructueuses de l’Histoire, de celles qui ont successivement dominé le monde. Et déjà, on pourra s’interroger sur l’étape suivante de la dislocation d’un royaume désormais désuni. Réunification de l’Irlande, Pays de Galles libre, la Cornouailles aux Corniques ? Non, Londres indépendant !

Le miracle londonien

Londres a toujours été profondément différent du reste du Royaume-Uni. Pourtant, au cours des deux dernières décennies, le phénomène n’a cessé de s’amplifier au point qu’il paraît aujourd’hui vain – ou, en tout cas, difficile – d’envisager son inversion.

Un miracle à grande vitesse. A la fin des années 70, Londres était dans un piteux état. Sa population n’avait cessé de diminuer depuis les années 30 et des quartiers entiers étaient, pour ainsi dire, à l’abandon. Et on attrapait des poux, à coup sûr, dans le métro. Cette capitale semblait comme traumatisée par la perte encore récente de son prestigieux statut impérial.

Aujourd’hui, Londres est devenu comme une « île » sur la grande île de Grande-Bretagne, une « île » prospère, cosmopolite, vibrante, confrontée à des problématiques, tant économiques que sociales, radicalement différentes de celles du reste du pays. Londres a désormais quitté le Royaume-Uni et rejoint une fédération informelle de métropoles mondiales, unies par leur dynamisme économique et une population qui papillonne de l’une à l’autre.

La « bulle » Londres

Pire. Les Londoniens, de souche ou d’ailleurs, souffrent, pour beaucoup, d’un mal sournois, la « Londonite », une maladie tout particulièrement aigüe, de la City à Westminster en passant par Fleet Street, parmi les élites politiques, médiatiques, économiques. Les classes dirigeantes britanniques ont leur vision du monde formatée par leur fréquentation de Londres et de ses riches satellites. Ils dirigent un pays, et vivent dans un autre.

Ce particularisme londonien n’est pas nouveau. Déjà au XVIIème siècle, les visiteurs remarquaient que les autochtones, à Londres, marchaient plus vite que dans les autres villes. Voltaire, un siècle plus tard, ressortait époustouflé d’une visite au Royal Exchange où il avait vu « le juif, le mahométan et le chrétien commercer… » Ce qui fut incontestablement, en d’autres temps, un atout formidable pour le développement du Royaume-Uni, et sa conquête du monde est devenue un facteur majeur dans la crise – éventuellement fatale – que traverse l’idée britannique aujourd’hui.

Une question de modèle

On aurait tort de voir dans le succès des idées indépendantistes en Écosse un phénomène ethnique et la revanche des Highlanders en kilts et peaux de bête. Après tout, la loi électorale britannique n’exclut-elle pas quantité de « vrais » Écossais, comme tous ceux qui ont si bien réussi dans leur exil londonien ? Le mouvement indépendantiste écossais joue davantage sur la promotion d’un modèle économique et social divergeant de celui triomphant à Londres. Le Scottish National Party d’Alex Salmond, c’est le refus de l’ultra-libéralisme et de l’impérialisme londonien, c’est surtout un système d’inspiration social-démocrate que ses promoteurs aiment à imaginer plus proche du modèle dit « scandinave ». Indépendant, Edinbourg se tournerait vers le nord-est plutôt que vers le sud.

Sur ce plan, les différences sont sensibles dès que l’on franchit le M25, la rocade périphérique du Grand Londres pour rentrer en Angleterre. Et cette Angleterre, elle-même, n’a pas les mêmes préoccupations qu’elle soit du sud, plus rural et plus réactionnaire, ou du nord, plus industriel et plus en crise.

Allez à Tunbridge Wells, dans le Kent, et évoquez l’« eldorado multiculturel » que serait devenu Londres et vous comprendrez que le UKIP de Nigel Farage se prépare à y obtenir ses scores les plus élevés. Allez à Preston dans l’industriel Lancashire et évoquez le persistant boom des prix de l’immobilier à Kensington ou Chelsea et l’incompréhension sera tout aussi profonde.

Plus fort sans Londres

Les répercussions d’une indépendance de Londres seraient considérables d’un point de vue économique. Indépendant, Londres resterait la capitale financière incontestable de l’Europe. Sans monnaie unique – ni commune -, la devise officielle londonienne serait plus forte que le reste de l’ex-Royaume-Uni et les taux d’intérêts y seraient plus élevés. Cet état de fait offrirait au reste de la Grande-Bretagne un avantage de compétitivité qui rendrait ces territoires attractifs et permettrait sans doute de résorber le douloureux – et prégnant – problème du chômage.

Le risque de « balkanisation »

Dès lors, pourquoi ne pas imaginer que ceux qui s’assemblent se ressemblent, que la constitution de plus petites entités nationales puisse être le pendant des outils de gouvernance continentaux ou globaux ?

Oui, pourquoi pas. Sauf que, pour cela, encore faudrait-il que le niveau supranational, l’Union européenne ait prouvé son efficacité et trouvé son juste modèle de gouvernance. Car sinon, le risque, ce serait la balkanisation, voire pire l’émergence d’une organisation néo-médiévale où petits barons à la tête de petits fiefs, fondés sur une race ou sous-race, une religion, une opinion ou je ne sais quoi s’affrontent pour le contrôle du territoire.

Et c’est pour cela qu’il faut espérer que les Écossais ne se résignent à ouvrir une telle boîte de Pandore.

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