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Tous les djihadistes de la planète se tournent-ils vers l’Etat Islamique?

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(Photo : Oleg Zabielin/Shutterstock.com)

Que sait-on aujourd’hui des relations qu’entretient l’Etat Islamique avec les divers groupes djihadistes dans le monde ? 
 

François BurgatOn peut a minima suivre à la trace le débat qui se déroule entre les fidèles d’Aiman al-Dhawahiri (co-fondateur d’al-Qaïda)  et ceux qui ont déjà opté pour l’Etat Islamique d’al-Baghdadi. Le conflit est autant générationnel (entre les « anciens » d’Afghanistan et ceux qui se sont mobilisés dans le contexte de l’invasion américaine de l’Irak)  que tactique et idéologique. Les avancées militaires spectaculaires du « Caliphat » de Baghdadi lui donnent pour l’heure une certaine prééminence.  Une partie au moins des membres des « filiales » – maghrébine et yéménite –  d’al-Qaïda (AQMI et AQPA) sont réputés lui avoir déjà fait allégeance.

Mais cette rivalité n’est pas une donne essentielle de la prospective dans ce domaine. Il vaut mieux comprendre que ces mouvements radicaux se développent sur le terreau de l’échec partiel ou total des institutions politiques des pays dont ils proviennent et sur l’échec, tout aussi flagrant, des méthodes qu’emploient les Américains et leurs alliés dans les parties du monde concernées. Ce qui  compte, et peut nourrir aujourd’hui une inquiétude légitime, c’est que ces mouvements très radicaux, initialement dépourvus d’ancrage territorial, ont reçu,  en plusieurs points de la planète, le soutien de composantes relativement importantes des sociétés où ils évoluent : en Irak très spectaculairement mais également dans le Sud du Yémen, dans le nord du Mali (où les négociations en cours à Alger piétinent), ou au Nigéria, ils ont acquis un ancrage territorial sur lequel ils ont désormais tout loisir de se développer.

Les interventions occidentales contre l’Etat Islamique pourraient-elles provoquer le rapprochement et la collaboration des groupes djihadistes d’Afrique et du Moyen Orient ? Qui, à part l’Etat Islamique, pourrait prétendre être à la tête de l’islam dans le monde ?
 

François Burgat : L’expression « la tête de l’Islam dans le monde » est excessive. Pour l’heure, on parle de la composante radicale de mouvements transnationaux qui sont très loin de faire l’unanimité, non seulement dans le monde chiite mais également au sein même des courants islamistes, où ils se démarquent de la puissante composante que représentent les Frères Musulmans.

Mais le processus de collaboration, l’instauration de synergies entre ces mouvements radicaux, est bel et bien en cours. Le paradoxe des politiques étrangères  occidentales dans cette région du monde est que nous y sommes largement déconsidérés notamment mais pas seulement du fait de notre appui inconditionnel à Israël, même lorsqu’il contrevient très manifestement à la légalité internationale.

Nos interventions génèrent donc – de façon réactive – une sorte de discrédit de ceux sur qui nous voulons  prendre appui, qui sont par ailleurs d’autant plus rares que le bilan de nos précédentes incursions chez eux est peu convaincant. Prenons seulement le temps de constater que, plus de 13 ans après le début de la première grande « guerre contre la terreur », lancée contre  les Talibans afghans, par « la première armée du monde » aidée, déjà, par une  « importante coalition internationale », les Talibans sont à nouveau aux portes du pouvoir…

Un objectif commun à tous ces groupes, sur le long terme, est-il selon vous déjà prévu ?
 

François Burgat : Selon les contextes où il s’est ancré, en Afghanistan d’abord puis en Irak et en Syrie, le djihadisme « global » contemporain a pris des tonalités et énoncé des priorités stratégiques différentes. Mais les composantes de l’agenda planétaire de ses membres et leurs objectifs sur le moyen et long terme sont demeurés les mêmes : lutter contre les acteurs (étatiques ou infra-étatiques) qui les empêchent de mettre en oeuvre leur conception littéraliste de la foi musulmane sunnite. Leurs adversaires sont d’abord la plupart des régimes arabes. Ce sont ensuite les puissances occidentales projetées dans le monde musulman, qu’ils considèrent comme les partenaires de ces régimes. Ce sont enfin les communautés chiites, surtout lorsqu’elles sont impliquées (comme en Iran mais également en Irak et au Liban) dans la gestion des Etats.  

La poussée de l’EI signale donc un complexe entrelacs d’échecs politiques dont certains plongent leurs racines jusque dans l’histoire coloniale. L’échec du régime syrien d’abord, où derrière le faux-semblant du discours laïc, la représentation citoyenne a toujours été empêchée à la fois par l’autoritarisme et par la persistance cachée des divisions confessionnelles. Elle signale ensuite l’échec en Irak de la formule politique léguée par l’invasion américaine. Elle signale enfin les contre-performances d’un grand nombre d’autres régimes, arabes et orientaux mais pas seulement : de la Russie à la France, la rébellion djihadiste est en effet l’écho d’un échec de l’intégration d’une partie au moins des musulmans vivant en Occident. Un échec dont la responsabilité n’incombe pas si automatiquement à ceux qui en sont les victimes comme, trop souvent, il arrive aux sociétés d’accueil de le penser.

Propos recueillis par Sybille de Larocque pour JOL Press

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