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Ukraine: «Vladimir Poutine ne pliera pas sous la menace»

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Le président russe Vladimir Poutine (Photo: Shutterstock.com)

JOL Press : Comment interpréter l’intervention de Vladimir Poutine ? 
 

Philippe Migault : Vladimir Poutine maîtrise parfaitement les règles de la communication en contexte de crise. En proposant d’ouvrir un couloir humanitaire aux forces ukrainiennes encerclées, il s’affiche d’une part comme un responsable politique ayant le souci de ne pas gaspiller inutilement des vies, et d’autre part, il souligne de la sorte le fait que l’armée ukrainienne multiplie les échecs sur le terrain, ses hommes étant de plus en plus fréquemment réduits à se constituer prisonniers en abandonnant tout leur matériel aux séparatistes, et qu’il est peut-être grand temps pour Kiev d’accepter l’échec de son opération « anti-terroriste », d’en tirer les leçons et de s’asseoir à la table des négociations pour discuter avec les leaders séparatistes d’un règlement de sortie de crise. 

JOL Press : A quoi joue le président russe ? 
 

Philippe Migault : Vladimir Poutine est, je crois, déterminé à aller au bout du bras de fer. Il ne pliera pas sous la menace. L’Ukraine représente un intérêt vital pour la Russie qui fera tout ce qui est en son pouvoir pour qu’un régime hostile aux Russes et jouant le jeu des Etats-Unis ne se perpétue pas à Kiev. Il affiche donc sa détermination en répondant du tac au tac à toutes les sanctions et critiques occidentales, tout en laissant la porte ouverte au président ukrainien Petro Porochenko : si ce dernier comprend que le Donbass (dans l’est du pays) a, sans doute définitivement, conquis une très large autonomie par rapport à l’Ukraine compte tenu de l’échec de ses troupes, il a encore la possibilité de négocier un compromis. 

JOL Press : S’agit-il d’un jeu dangereux ? Qu’espère Vladimir Poutine en adoptant cette stratégie ?
 

Philippe Migault : Le jeu n’est pas dangereux d’un point de vue militaire. L’Union européenne ne viendra pas au secours de l’Ukraine ; l’OTAN se contentera de menacer, de renforcer sans doute sa présence dans les pays Baltes et en Pologne, situation à laquelle la Russie s’est sans doute déjà résignée, mais n’interviendra pas. Les troupes ukrainiennes sont donc seules dans cette guerre.

Du point de vue économique, la Russie – dont l’économie a connu ces deux dernières années un sévère ralentissement – serait plus en difficulté encore si de nouvelles sanctions devaient être prises contre elle. La question est de savoir si les Européens ont les moyens économiques de prendre une telle décision alors que les ripostes économiques russes, bien ciblées, peuvent nous faire mal et qu’une multitude de pays accourrent pour s’emparer des parts de marché auxquelles nous avons sciemment renoncées en Russie. Nous sommes en France au neuvième mois consécutif de hausse du chômage, la déflation menace toute la zone euro et le président de la Banque centrale européenne (BCE) Mario Draghi a admis que la rupture économique avec la Russie était de nature à accroître la crise au sein de l’UE.

Dans un tel contexte faut-il s’aligner sur les sanctions prises par les Américains, qui ne sont que faiblement impactés par les mesures de rétorsion russes, ou bien faut-il mieux faire passer nos intérêts avant ceux des autorités ukrainiennes ? Vladimir Poutine a, je crois, une petite idée de la manière dont nous trancherons en définitive à moyen terme… 

JOL Press : Vladimir Poutine mène-t-il la danse sur le plan diplomatique ? A-t-il toutes les cartes en main ? 
 

Philippe Migault : Ce qui est certain c’est que la Russie a un siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU avec un droit de veto qui lui permet de bloquer toute résolution contraire à ses intérêts. Ce qui est certain aussi c’est que la Russie n’est pas isolée diplomatiquement. Chine, Inde, Etats d’Amérique latine, d’Afrique, d’Asie et du Moyen-Orient n’entendent en aucun cas s’aligner sur la position « occidentale » et prendre des sanctions à leur tour.

Enfin Vladimir Poutine sait bien que, malgré ses rodomontades, l’Union européenne n’est pas un poids lourd diplomatique dans la mesure où ses membres sont profondèment divisés. Restent les Etats-Unis. Mais le Kremlin comme la Maison Blanche ont depuis longtemps fait le deuil du « reset » de Barack Obama et compris qu’ils seraient sans doute rivaux pour des décennies. Et cela aussi la Russie est prête à l’accepter : après la crise économique et diplomatique des années 1990, tout le monde sait en Russie ce que signifie le partenariat au sens américain : la vassalité.

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