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Devant la barbarie djihadiste, la presse devrait-elle s’autocensurer?

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Plusieurs intellectuels français ont décidé de ne plus commenter les actes de barbarie de l’Etat Islamique afin de ne pas entrer dans un processus de banalisation de ces atrocités. Les journalistes devraient ils également adopter cette logique ?
 

Jean-Marie Charon : Que des intellectuels décident d’adopter un point de vue concernant la diffusion d’images particulièrement impressionnantes, qu’ils décident de ne pas en faire le relais sous prétexte qu’ils considèrent que ces images font partie de la stratégie des groupes concernés est un point de vue.

Cela peut être une attitude légitime de la part d’intellectuels qui font les choix de leurs propos et de leurs interventions. Cette attitude est toutefois complètement différente de celle que doivent adopter les médias.

Pour quelles raisons ?
 

Jean-Marie Charon : Il faut, selon moi, partir d’un constat très simple. Les vidéos qui illustrent les atrocités commises par l’Etat Islamique sont disponibles via Internet ou les réseaux sociaux. La position des médias est contrainte par cette situation dans la mesure où le public des médias, ou en tout cas une partie de ce public, accèdera de toute façon à ces images.

En faisant le choix de ne pas parler, de ne pas prendre position, de ne pas faire référence à ces contenus, les médias donneraient le sentiment de participer d’une volonté d’occulter, voire de nier la réalité. Cette critique leur est d’ailleurs déjà faite par une certaine partie de leur public.

Est-ce la première fois que les médias sont face à un tel dilemme ?
 

Jean-Marie Charon : Cette question est relativement constante et l’Etat Islamique n’a, en cela, rien apporté de nouveau. Pour certains faits divers particulièrement difficiles de par leur forme ou les personnes mises en question, le problème s’est déjà posé.

Il faut également penser aux victimes. Or ce qu’elles font généralement remarquer, c’est que ne pas parler d’une situation renforcent chez elles le sentiment d’être victimes, d’être rejetées.

Il y a quelques temps, le Conseil supérieur de l’audiovisuel a préconisé qu’en temps de guerre, les images trop difficiles à regarder ne soient pas diffusées. Je crains ce type d’attitudes qui a pour conséquence d’humaniser une situation qui ne l’est pas.

Certaines situations sont difficiles, agressantes, pénibles. Le public doit être prévenu que le contenu qu’il s’apprête à regarder est choquant, mais il ne faut en aucun cas nier la gravité d’un événement.

Qu’il s’agisse de l’Etat Islamique ou d’un fait divers choquant, la presse ne doit donc jamais avoir recours à l’autocensure ?
 

Jean-Marie Charon : La question est de réfléchir à ce que représente pour l’Etat Islamique la diffusion de ces images.

Ces islamistes ne sont pas les seuls à avoir adopté cette stratégie qui consiste à montrer des images très difficiles. D’autres groupes tels qu’Al-Qaïda, nous ont déjà habitués à cette guerre visuelle.

Toutefois, et plus que jamais avec l’Etat islamique, nous avons le sentiment que la diffusion de ces images n’est pas le fruit du hasard mais relève d’une véritable forme de stratégie.

Les médias doivent alors exercer leur métier de traitement de l’information sans tomber dans l’écueil de la publicité. En aucun cas cependant, ils ne doivent nier l’existence de ces documents, surtout s’ils sont d’ores et déjà accessibles à tous sur Internet.

Propos recueillis par Sybille de Larocque pour JOL Press

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