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Israël, nouvelle terre d’émigration ?

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JOL Press : Sur Facebook, un Israélien vivant à Berlin a appelé ses concitoyens à venir s’installer dans la capitale allemande pour fuir la vie chère. Va-t-on vers un «Occupy Rothschild», mouvement social survenu il y a trois ans dans l’Etat hébreu ?

Gideon Kouts : La mobilisation n’indique pas, pour l’instant, un mouvement de masse à venir. Cette semaine l’organisateur – un jeune israélien de 25 ans qui a étudié l’économie en Israël – a essayé d’organiser une manifestation sur une place publique de Tel Aviv, sans succès. Seulement quelques dizaines de participants étaient au rendez-vous.

On peut cependant rapprocher l’appel du jeune israélien avec le mouvement social de 2011 : ce dernier avait également commencé par une campagne sur le prix des produits laitiers en Israël, notamment le prix du fromage cottage, de plus en plus cher. Cette fois, la contestation a débuté avec la publication d’une photo d’un yaourt moins cher à Berlin qu’en Israël.

JOL Press : Lors du mouvement social «Occupy Rothschild» en 2011, le Premier ministre Benjamin Netanyahu avait promis des réformes contre le coût élevé de la vie en Israël : trois ans plus tard, elles n’ont donc pas porté leurs fruits ?

Gideon Kouts : Il y a un vrai problème économique pour les jeunes en Israël. Rien n’a été résolu depuis «Occupy Rothschild» : la droite israélienne a plus ou moins noyauté le mouvement social de 2011. Au début, ce mouvement avait été lancé par un groupe de contestataires mais rapidement, un grand nombre de personnes a estimé qu’il fallait réformer la politique économique israélienne. Le premier ministre a donc utilisé la méthode bien connue « If you can’t beat them, join them » – « Rejoignez ceux que vous ne pouvez pas combattre » : trois ans plus tard, la situation a très peu changé. La contestation actuelle n’est que la reprise du mouvement protestataire de 2011 avec d’autres moyens.

JOL Press : Au-delà de la vie chère, cet appel du jeune israélien à Berlin révèle-t-il un malaise plus profond dans la société israélienne ?

Gideon Kouts : On ne peut pas comparer la société israélienne d’aujourd’hui avec celle d’il y a plusieurs dizaines d’années. Aujourd’hui, il s’agit d’une société ouverte mais avec en revanche la menace d’un repli sur soi, en raison de la situation politique, la montée de l’intégrisme, les menaces sécuritaires et les problèmes des relations avec les Palestiniens. Il y a, c’est vrai, le sentiment d’un certain étouffement en Israël, d’un désir de la jeunesse de vivre normalement.

Mais la désillusion peut aussi être grande à l’arrivée pour ces jeunes: les problèmes économiques et sociaux qui se posent aux jeunes israéliens sont les mêmes que ceux auxquels sont confrontés les autres jeunes dans des pays industrialisés, comme en France.

JOL Press : Quelles ont été les réactions de la classe politique israélienne face à cet appel sur Facebook ?

Gideon Kouts : La droite a accusé la gauche d’être à l’origine de cet appel. Des ministres estiment qu’il s’agit d’une conspiration pour trahir Israël. La ville de destination est également symbolique… Berlin : la capitale du pays responsable de l’extermination des juifs.

C’est davantage un problème d’ordre psychologique, un problème psycho-social israélien : un départ définitif d’Israël est considéré comme une trahison. Exemple significatif : lors des élections, les citoyens israéliens ne peuvent voter qu’en Israël, sauf les diplomates.

JOL Press : Partir à l’étranger est encore un sujet tabou en Israël ?

Gideon Kouts : Partir d’Israël a longtemps été considéré comme un tabou, contrairement à la France qui encourage les gens à partir à l’étranger pour trouver du travail. Avec sa tradition patriotique, surtout durant les premières années de l’existence de l’Etat, il était impensable de partir à l’étranger même pour une visite touristique, sauf si l’on est envoyé en mission par l’Etat. Même plus tard, ceux qui voulaient s’installer à l’étranger étaient considérés comme des traitres. Même le premier ministre Yitzhak Rabin a parlé de façon très péjorative de ceux qui partaient l’étranger. Avec le temps, cela a changé : partir à l’étranger ou avoir la double nationalité n’est plus un tabou, mais c’est encore très mal vu.

JOL Press : Cet appel aura-t-il selon vous un impact limité dans la société israélienne ?

Gideon Kouts : Les gens qui ont « liké » la page sur Facebook, ne sont pas ceux qui partiront demain pour l’Allemagne. La manifestation à Tel Aviv n’a regroupé que quelques dizaines de personnes. Rappelons qu’après la contestation de 2011, les citoyens israéliens ne sont pas non plus partis en masse à l’étranger : par conséquent, je ne pense pas que l’on assistera demain au départ d’un million d’Israéliens vers l’Allemagne. Même s’il s’agit de la deuxième ou troisième génération, la mémoire est encore forte en Israël, comme en témoigne l’augmentation du départ de juifs français pour Israël, dans un contexte actuel de mouvements politiques et sociaux pas très favorables aux juifs.

Propos recueillis par Louise Michel D. pour JOL Press

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Gideon Kouts est professeur à Paris 8 et correspondant en France et chef du bureau européen de la radio-télévision publique israélienne IBA.

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