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La France hésite à livrer leurs Mistral aux Russes… Un coup de bluff?

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La France a affirmé que « les conditions » n’étaient « pas réunies » pour effectuer la livraison des deux navires Mistral promis à la Russie. Pourquoi cette hésitation ?
 

Yves Boyer : Ces deux bâtiments ont été commandés par les Russes. Tout ce processus se déroulait normalement jusqu’à ce qu’explose la crise ukrainienne. Sous la pression américaine, des sanctions ont été prises et en juillet dernier, certaines d’entre elles ont été durcies et prévoient notamment l’interdiction d’exportation de matériel de guerre vers la Russie.

A l’époque, les Français avaient pris soin de prévenir que cette mesure ne devait s’appliquer qu’à partir du mois de juillet 2014, excluant de ce fait ce contrat. Toutefois, certains Etats qui ont une rancune tenace à l’égard de la Russie, tels que les Polonais, les Suédois, les Baltes, usent aujourd’hui de tout leur pouvoir pour exercer une pression au sein de l’OTAN afin que les relations avec la Russie ne s’assouplissent pas.

Ces Etats, et on ne le dit que très peu, ont d’importants relais au Congrès américain en raison de la présence nombreuse de minorités américano-polonaises notamment dans le nord du pays. Un certain nombre de sociétés de lobbying sont installées sur K Street, à Washington et savent très bien relayer les intérêts de ces pays au Congrès.

Pour ces gens-là, faire commerce avec la Russie, et notamment livrer des bâtiments de guerre, c’est l’anathème.

La France a donc été prise dans ce véritable maelstrom et, lors du sommet de l’OTAN de septembre dernier, François Hollande a affirmé que pour le moment, la France attendrait de voir comment la situation évolue avant de prendre une décision définitive quant à la livraison de ces  bâtiments de guerre.

Ces lobbys anti-russes n’existent-ils pas également en France ?
 

Yves Boyer : Les clivages qui existent au sein de l’Otan sont également perceptibles en France. Il y a en France des courants anti-russes et cela s’observe dans les débats au sein de la classe politique.

Toutefois, d’un point de vue français, en mettant de côté la crise ukrainienne, des engagements commerciaux ont été pris et si la France renonçait à livrer les deux bâtiments, elle s’engagerait à rembourser le montant de la vente mais également les indemnités. Le vice Premier ministre russe en charge des industries de défense rappelait également, d’une façon un peu humoristique, qu’il faudrait également aux Français renvoyer la partie du BPC qui est proprement russe et qui a été construite à côté de Saint Petersbourg.

En termes commerciaux, c’est donc la parole de la France qui est mise en cause.

D’un point de vue purement économique, la France devrait en effet rembourser 1 200 000 000€. Ne peut-on pas croire qu’au regard de sa situation économique extrêmement difficile, elle ne tienne ce discours que pour sauver les apparences vis-à-vis de certains pays mais finira forcément par livrer ces deux bâtiments ?
 

Yves Boyer : Si l’on prend le coût du remboursement et le coût des  préjudices, il s’agit en effet de sommes assez substantielles dans une crise financière.

Toutefois c’est sur un autre aspect qu’il faut se pencher. La Russie est ostracisée, on l’estime isolée sur le plan international. Ce dernier point est totalement faux et la Russie est bel et bien là, et est qui plus est un grand pays européen.

Tâchons de ne pas insulter l’avenir car nous ne savons pas si nous, Français, n’aurions pas intérêt un jour à coopérer sur des programmes de haute technologie avec les Russes.

Jusqu’à preuve du contraire, la Russie n’est pas notre ennemie. On peut alors tout à fait imaginer que ces Mistral seront finalement livrés. La France sera sans doute condamnée à Riga ou à Varsovie, mais ce n’est ni à Bruxelles, ni à Washington que se décide la politique française.

Cette affaire ne montre-t-elle pas que dans le monde actuel, l’économie et l’argent sont devenus supérieurs à la diplomatie et aux « valeurs morales » que tentent d’imposer certains pays ?
 

Yves Boyer : Il ne s’agit pas de valeurs mais de codes. Si l’on parle, par exemple, du droit au mariage gay, les Russes sont en effet sur une autre planète que les Occidentaux. Cependant, il en est alors de même pour les Chinois, les Indiens et les Arabes. Ce ne sont donc pas des valeurs mais des codes, propres à chaque pays.

La « grande politique » demande à ce que nous livrions ces bâtiments de guerre, non pas pour des raisons économiques mais pour des raisons stratégiques, car il ne faut pas fermer les perspectives de coopération qui pourraient s’ouvrir avec la Russie dans les domaines de haute technologie car c’est un grand pays dans ce secteur.

L’économie n’est donc pas l’élément clé, c’est la stratégie car faire une croix sur la Russie, c’est aussi réduire nos chances de participer à ce nouveau monde qui est celui du 21ème siècle.

Si les politiques ont conscience de tous ces éléments, pourquoi communiquent-ils alors sur une éventuelle non-livraison de ces bâtiments de guerre ?
 

Yves Boyer : Ils sont obligés de jouer à un jeu assez subtil.

En Europe, une certaine sclérose envahit la pensée. Plus celle-ci est sclérosée, plus nous nous barricadons derrière une notion de valeurs, qui sont en fait davantage des codes. Démoniser Vladimir Poutine ne règlera jamais nos problèmes. Un certain nombre d’Etat en veulent aux Russes pour des raisons historiques, on peut le comprendre et ces Etats ont une voix prépondérante à Washington. Toutefois, au sein de l’Union européenne, d’autres pays, l’Allemagne, la France ou encore l’Italie ont des intérêts plus particuliers et plus nuancés à l’égard de la situation en Ukraine et donc de la Russie.

Propos recueillis par Sybille de Larocque pour JOL Press

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