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Le Qatar essaie-t-il de «récupérer» la cause palestinienne?

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En soutenant largement les Palestiniens, Doha croit s’assurer une publicité largement positive auprès des musulmans du monde. (Crédit : Shutterstock)

 

L’enclave palestinienne – durement touchée par les combats opposant cet été Tsahal au Hamas – a récolté plus de 5,4 milliards de dollars auprès de la communauté internationale, lors d’une conférence dédiée le 12 octobre au Caire à sa reconstruction.

Loin en tête des contributeurs : le Qatar. La richissime pétromonarchie a offert aux Gazaouis un milliard de dollars, nettement devant les promesses de l’Union européenne (571 millions de dollars), de l’Arabie saoudite (500 millions de dollars) et des Etats-Unis (212 millions).

Ce n’est pas la première fois que Doha se montre généreux envers les Palestiniens. Lors de l’opération militaire « Bordure Protectrice », menée par Israël contre les combattants du Hamas – aux manettes de Gaza depuis 2007 -, en juillet et août derniers, c’est l’Emirat qui a rétribué les fonctionnaires de l’enclave.

Doha accueille par ailleurs, depuis 2012, le chef du Hamas en exil, Khaled Mechaal.

Pourquoi le Qatar s’érige-t-il en « parrain » des Palestiniens ? Le petit Etat du Golfe l’a déclaré lui-même à l’issue du conflit israélo-palestinien de l’été 2014 : le pays « peut servir de canal de communication entre le Hamas et la communauté internationale ».

Après la destitution, en Egypte, de son allié le président Mohammed Morsi, face à la gestion du dossier syrien par Ryad et Ankara, le Qatar, en perte d’influence dans la région, entend-t-il reprendre la main en devenant un acteur stratégique du conflit israélo-palestinien ?

L’éclairage de Haoues Seniguer.

 

JOL Press : Historiquement, quels liens entretiennent le Qatar et le Hamas ?

 

Haoues Seniguer : Si, du point de vue du temps long, il est difficile de citer des événements dénotant une idylle particulière entre Qatar et le mouvement islamiste palestinien du Hamas, créé en 1987, il est en revanche possible de citer quelques faits relativement récents témoignant de liens d’amitié et de collaboration apparemment savamment entretenus.

Premièrement, en février 2012, Khaled Mechaal, chef du bureau politique du Hamas, quitte la Syrie alors en pleine guerre/révolution pour s’installer dans l’Emirat.

Deuxièmement, le 23 octobre 2012, l’ancien émir, Hamad Ben Khalifa al-Thani, a visité pour la première fois, et de façon tout à fait officielle, la bande de Gaza, dirigée par le Hamas, alors même qu’elle se trouve sous blocus israélien. A l’époque, le Hamas et Gaza avaient réservé tous les honneurs à l’émir en diffusant même en boucle à la radio des chants dithyrambiques à la gloire de l’Emirat, au rythme de « Merci Qatar ».

Enfin, un troisième élément vient confirmer ces liens privilégiés : l’Emirat a certes éconduit, il y a quelque temps à peine, sept dirigeants des Frères musulmans, tandis que K. Mechaal, lui, n’a pas connu le même sort.

JOL Press : Sous quelle forme le Hamas soutient-il le Hamas ?

 

Haoues Seniguer : Décrire les dessous exacts du type de soutien financier du Qatar à l’adresse du Hamas est difficile.

Cependant, on peut supposer qu’institutions privées comme institutions publiques qataries sont, à n’en pas douter – compte tenu des accointances idéologiques et du soutien affiché au plus haut sommet de l’État du Golfe -, de fervents soutiens du Hamas.

Même si cela se fait discrètement, par des voies multiples et détournées, notamment par le truchement de l’humanitaire ou de versements en liquidités, via des émissaires spéciaux.

JOL Press : Doha peut-il être un acteur stratégique dans le processus de paix israélo-palestinien ?

 

Haoues Seniguer : Doha, quoi qu’on puisse en penser, a démontré qu’il était capable, dans une certaine mesure, de contenter à la fois le Hamas et certains gouvernants israéliens, lesquels ne voient pas tous du même et du bon œil l’activisme de l’Emirat.

Compte tenu des relations privilégiées du Qatar avec la puissance américaine, et sa capacité à prendre langue en même temps avec le Hamas et certains représentants politiques ou diplomatiques de l’État hébreu, on peut alors supposer, au conditionnel, qu’il pourrait être un acteur stratégique, mais dans des proportions limitées.

En effet, étant donné les errements de la politique qatarie en Syrie et des soupçons persistants sur le financement probable de groupuscules radicaux, l’heure, pour les dirigeants du pays, est semble-t-il davantage à la retenue, en particulier en ce qui concerne la visibilité du soutien apporté à l’islamisme de façon générale. 

JOL Press : Que cherche le Qatar en devenant le « parrain » des Palestiniens ?

 

Haoues Seniguer : Il s’agit de jouir de retombées symboliques.

D’une part, la Palestine est le symbole d’un peuple sans État, en proie à la colonisation et aux violences répétitives de la part des gouvernements israéliens successifs ; d’autre part, en raison de la centralité, ou en tout cas la grande importance de ce conflit dans le monde arabe, l’imaginaire musulman et/ou anti-impérialiste, aider la Palestine et les Palestiniens, c’est, croit le Qatar, s’assurer une publicité largement positive auprès des musulmans du monde.

La réalité est bien plus contrastée, car beaucoup de « pro-Palestiniens » sont très critiques vis-à-vis de ce qu’ils perçoivent comme une instrumentalisation éhontée de la cause palestienne.

JOL Press : En se positionnant ainsi, Doha ne taille-t-il pas des croupières à Téhéran – jadis principal allié du Hamas palestinien ? 

 

Haoues Seniguer : C’est la banale logique de la concurrence ou compétition entre États, chacun cherchant à devenir un interlocuteur privilégié dans les grands conflits du monde, notamment ceux touchant de près la cause palestienne.

Que Téhéran et Doha aient le même souci de s’imposer au niveau de la diplomatie internationale n’a pas forcément comme horizon certain un conflit entre les deux pays qui n’y ont objectivement aucun intérêt ; chacun jouant sa propre partition et des atouts dont il dispose.

 

Propos recueillis par Coralie Muller pour JOL Press

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Haoues Seniguer est Docteur en science politique, chargé de cours à l’Institut d’Études Politiques de Lyon (IEP), chercheur associé au Groupe de Recherches et d’Études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient (GREMMO).

 

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