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Les donateurs veulent reconstruire Gaza et relancer les négociations

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Des soldats israéliens, dans le cadre de l’opération « Bordure Protectrice », s’acheminent vers la bande de Gaza, le 18 juillet 2014. (Crédit : Shutterstock)

 

La communauté internationale s’est penchée, dimanche 12 octobre au Caire, sur la reconstruction de Gaza. La cinquantaine d’Etats participants à la conférence ont promis à l’enclave palestinienne plus de 5,4 milliards de dollars, soit davantage que les 4 milliards de dollars de coûts estimés pour sa remise en état.

En juillet et août derniers, les combats entre Tsahal et le Hamas avaient causé la mort de près de 2200 Palestiniens et de 73 Israéliens, et détruit plus de 18 000 bâtiments dans la bande de Gaza – territoire d’à peine 360 kilomètres carrés où s’entassent 1,7 million de personnes.

Si les Etats participants à la conférence ont donc su se montrer généreux – en premier lieu le Qatar, de loin le premier contributeur, avec une promesse de don de pas moins d’un milliard de dollars –, ces derniers ont toutefois tenu à exhorter Israéliens et Palestiniens à reprendre les négociations de paix, sans quoi l’aide financière internationale ne saurait rien résoudre.

Le secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon a ainsi exprimé la frustration générale en se disant « très en colère » de la situation, et en rappelant, « qu’ en 2009, la communauté internationale s’était déjà réunie » en Egypte pour la reconstruction de Gaza. « Nous sommes à nouveau ici » et « le cycle construction-destructions se poursuit, empire », a-t-il déploré, mettant dos-à-dos les autorités de tel-Aviv et le Hamas.

Reste à savoir si et comment le Premier ministre Benyamin Nétanyahou – lequel doit composer avec une coalition gouvernementale comprenant de nombreux « faucons » anti-Palestiniens – et le mouvement nationaliste et islamiste qui dirige la bande de Gaza depuis 2007 – lequel a récemment accepté de transmettre le pouvoir dans le territoire à un gouvernement d’union, sous l’égide de l’Autorité palestinienne – répondront à cette exhortation

Après sept décennies de conflit, quelle marge de manoeuvre reste-t-il pour apporter la paix entre les deux peuples ?

L’éclairage de Sébastien Boussois.

 

JOL Press : Israéliens et Palestiniens peuvent-ils engager une discussion constructive tant que le Hamas sera aux affaires ?

 

Sébastien Boussois : On pourrait se poser la même question en s’interrogeant sur la véritable volonté de paix d’une coalition gouvernementale en Israël la plus à droite et à l’extrême droite de l’histoire.

Benjamin Netanyahou, entouré de personnages nationalistes et colonialistes comme Naftali Bennett [le ministre israélien de l’économie, à la tête du parti de la droite sioniste religieuse Foyer juif, lequel, allié au parti Union nationale, est devenu la quatrième force politique d’Israël, suite aux élections législatives de janvier 2013, ndlr] ou Avigdor Lieberman [le ministre des Affaires étrangères israélien, fondateur et dirigeant du parti d’extrême droite Israël notre maison, ndlr], rejettent en bloc toute négociation et le Hamas finit par être un ennemi idéal.

Un ennemi idéal qui permet, au nom de la sécurité, de mener des guerres asymétriques totalement disproportionnées ; de poursuivre la colonisation encore au nom de la sécurité et pour des raisons économiques ; de refuser toute reprise des négociations avec l’Autorité palestinienne affaiblie ; et de continuer à critiquer la « réconciliation » du camp interpalestinien qu’Israël ne pourra jamais digérer. 

Le Hamas n’est certes prêt à aucun compromis, si ce n’est céder la gestion administrative de Gaza à l’Autorité palestinienne, tout en gardant un certain prestige pour avoir résisté lors de la dernière guerre de Gaza.

Mais si des élections survenaient demain, il se pourrait bien que le Hamas l’emporte de nouveau. Que faut il faire alors ? Réagir par le déni de démocratie, comme en 2006 ? Ostraciser une fois encore le mouvement et indirectement le renforcer ?

Le Hamas devra pourtant bien un jour ou l’autre venir à la table des négociations, ou y être invité, comme le Fatah fut condamné à le faire et à l’être dans les années 1980.

 

JOL Press : Les pourparlers entre Israéliens et Palestiniens pourront-ils porter leurs fruits tant que Tel-Aviv n’assouplira pas – au minimum – le blocus imposé depuis huit ans à la bande côtière ?

 

Sébastien Boussois : C’est un élément fondamental, qui s’était esquissé lors de la fin de la guerre et le début de la trêve durable. Le règlement de la question gazaouie ne pourra s’inscrire que dans un cadre plus général de négociation de l’ensemble des problématiques du conflit.

En attendant, ce sont des générations de jeunes Gazaouis qui sont condamnés à vivre dans des conditions très dures, matérielles, physiques mais aussi psychologiques.

 

JOL Press : Les dernières discussions entre Israéliens et Palestiniens n’ont pas permis d’aborder les principaux désaccords (frontières, réfugiés, colonisation, statut de Jérusalem), encore moins de progresser vers la création d’un Etat palestinien. Y a-t-il réellement un « processus de paix » interrompu à « reprendre » ? 

 

Sébastien Boussois : Sans volonté politique des deux parties, ces désaccords sont des problèmes insolubles.

L’Etat palestinien n’existe que dans la théorie, auprès de l’ONU et de l’UNESCO, mais pas sur le terrain.

La poursuite de la colonisation et la présence de 500 000 colons dans les territoires palestiniens est un paradoxe : si cette accélération de la colonisation oeuvre à l’impossibilité croissante d’un Etat palestinien, elle favorise aussi le retour de la fameuse rengaine de l’Etat binational.

Or, intégrer les Palestiniens dans l’Etat binational ne mettrait il pas en danger la supériorité juive de l’Etat « hébreu » ?

C’est sans compter le désaccord historique et sans solution de la capitale éternelle des Juifs pour les uns, de la capitale non négociable de l’Etat palestinien pour les autres.

 

JOL Press : La Suède a annoncé en octobre qu’elle allait reconnaître l’« Etat de Palestine », ce qui serait une première pour un pays occidental de l’UE. Serait-ce là un levier possible dans le face-à-face israélo-palestinien : reconnaître « l’Etat » palestinien, serait traiter d’égal à égal avec Israël, faire pression sur les Israéliens, une façon de faire bouger les lignes pour qu’il y ait in fine une reprise des pourparlers… ?

 

Sébastien Boussois : Pour Israël, il n’y a pas d’accord possible sans négociation bilatérale et accord mutuel entre les parties. Les initiatives isolées comme l’action de la Suède n’inquiètent pas vraiment Israël.

Pourtant, cela pourrait : si l’ensemble de la communauté internationale commence à jouer la carte du droit international – comme Mahmoud Abbas le fait depuis trois ans – celui-ci peut revenir au coeur des enjeux israélo-palestiniens.

Et au delà des dizaines de résolutions de l’ONU non respectées par Israël, au delà des actions politiques condamnables du Hamas, c’est toute l’incohérence de la communauté internationale qui serait à nouveau mise à jour.

 

Propos recueillis par Coralie Muller pour JOL Press

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Sébastien Boussois est docteur en sciences politiques, conseiller scientifique de l’Institut MEDEA (Bruxelles), chercheur associé au CJB (Rabat/Maroc), à l’OMAN (UQAM Université de Montréal) et au REPI (Université Libre de Bruxelles). Enseignant en relations internationales, il est également consultant Moyen-Orient.

Il est l’auteur de nombreux ouvrages, notamment, qui vient de paraître : « Israël entre quatre murs: la politique sécuritaire dans l’impasse » (GRIP – Septembre 2014).

 

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