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Syrie: Une enquête fouillée sur les jeunes djihadistes français

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Ils sont aux alentours de 500 actuellement en Syrie. Des français qui, aujourd’hui, combattent le régime de Bachar Al Assad dans les rangs de groupes de Djihadistes. Adolescents et bons élèves parfois, convertis et radicalisés brutalement pour d’autres, comment ces jeunes français ont-ils basculé ? Pourquoi ces gamins de Toulouse, Strasbourg ou Lyon ont ils pris les armes pour le compte d’organisations terroristes rêvant d’instaurer la Charia ? Comment sont-ils recrutés, et comment s’organisent-ils pour partir en Syrie ? Pour quelles raisons des jeunes femmes, nées en France, intégrées rejoignent le Djihad et aspirent à vivre auprès de ces  » moudjahidins « ? Pourquoi les services de renseignement français sont-ils persuadés que certains préparent un retour en France, pour commettre un attentat ?

Extrait de « La France du Djihad », de Francois Vignolle et d’Azzeddine Ahmed-chaouch (Editions du Moment, Novembre 2014)

Anissa est loin d’être un cas isolé. Depuis plus d’un an, les autorités françaises s’inquiètent du nombre croissant de jeunes filles parties en Syrie. Cent cinquante-cinq Françaises sont actuellement impliquées dans une des filières qui alimentent la Syrie dont un tiers s’est converti à l’Islam. Une cinquantaine d’entre elles a déjà émigré dans ce pays.

Une contagion inquiétante qui mêle des profils et des origines différentes. Les unes sortent à peine de leurs études secondaires, les autres sont déjà bien installées dans leur vie familiale. Certaines sont fraîchement converties, d’autres ancrées dans un fondamentalisme pur et dur depuis déjà plusieurs années. Souad Merah, la soeur du tueur à scooter de Toulouse, fait partie de cette seconde catégorie. Le 9 mai 2014 à 12 h 45, elle embarque à Barcelone sur le vol 1 854 de la Turkish Airlines pour Istanbul. Elle atterrit incognito à 16 h 45 avec ses quatre enfants, âgés de neuf mois, trois, dix et quatorze ans. Le soir même, à 21 h 15, elle prend le vol 2 228 pour Gaziantep, une ville proche de la frontière syrienne. Cette mère de famille de trente-cinq ans a rejoint en Syrie son compagnon, un salafiste fiché par les services de renseignement. Ce départ soudain provoque la colère de Bernard Cazeneuve qui demande des explications au patron de la Direction générale de la surveillance intérieur (DGSI).

« Pourquoi la soeur de Mohamed Merah n’était-elle pas activement surveillée ? » interroge le ministre. On lui répond que Souad Merah n’était sous le coup d’aucune mise en examen, encore moins d’une condamnation. Tout juste lui reprochait-on des opinions très contestables.

Remonté, le ministre reprend : « Il fallait trouver quelque chose ! » 1 La soeur de Mohamed Merah n’a jamais caché à son entourage sa conception d’un islam radical sans concession. En 2012, elle suscite une polémique en se disant « fière de [son] frère Mohamed » lors d’un reportage diffusé sur M6. Ses déclarations ont fait l’objet d’une enquête judiciaire pour apologie du crime mais finalement l’affaire a été classée, ces propos ne pouvant être jugés publics car elle avait été filmée à son insu. « Comme pour les garçons, on a de plus en plus de mal à esquisser un portrait-robot de ces candidates au djihad 1 », constate un policier de l’antiterrorisme.

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Les enquêteurs ont toutefois observé depuis quelques mois une baisse notable de l’âge des prétendantes au djihad. Quatorze, quinze, seize, dix-sept ans… Soumia2, dix-sept ans, compte parmi ces adolescentes tentées par l’aventure. Originaire d’Épinay-sur-Seine, en Seine-Saint-Denis, elle a surpris son entourage en ne donnant plus de signes de vie fin novembre 2013. À cette époque, personne ne croit à une fugue. Née d’un père marocain et d’une mère algérienne, Samia, jeune fille svelte à l’éternel sourire, très bonne à l’école, a intégré un prestigieux lycée parisien du 16e arrondissement. Après un temps d’adaptation, cette élève du 9-3, modèle de l’intégration à la Française, affiche d’excellents résultats. « Nous savions qu’elle irait jusqu’au bac sans soucis et qu’elle rejoindrait ensuite une classe préparatoire et une grande école après 3 », confie Farida, sa tante. Mais cette élève brillante a d’autres centres d’intérêt. Parallèlement à ses études, elle étudie le Coran avec assiduité, tard le soir sous le halo de sa lampe de chevet. Premier effet visible, la jeune fille change de look : « Je me souviens, poursuit Farida, qu’elle était arrivée voilée le jour de sa rentrée en seconde. Les responsables du lycée lui avaient demandé de se découvrir.

Elle avait dû s’y résoudre ». Une interdiction mal vécue par Soumia. « Après cet épisode du voile, elle me disait régulière- ment : tata, je veux vivre dans un pays musulman. » Sa religiosité prend progressivement le pas sur ses études. Elle se met à prier cinq fois par jour, au côté de son père qui l’encourage à entretenir sa foi. Dans le même temps, le conflit syrien l’obsède. Sa place n’est plus là, dit-elle à ses proches mais « auprès des réfugiés, victimes de l’armée de Bachar Al-Assad ».

Via Facebook, Soumia entre en contact avec deux filles qu’elle n’a jamais rencontrées et qui deviennent ses amies « virtuelles ». L’une, Dounia, vit à Toulouse, la seconde, Sian, dix neuf ans, habite à Soissons dans l’Aisne. Les trois adolescentes partagent les mêmes convictions sur la question syrienne. Elles décident sur un coup de tête de partir ensemble en ce mois de novembre 2013. Soumia achète deux billets d’avion sans retour pour la Turquie sur le site de voyage Opodo grâce à la carte bancaire de son père. L’un pour elle, l’autre pour Sian, sans le sou. Dounia se charge elle-même de son voyage. Plus rien ne peut les arrêter maintenant. « Soumia est partie fin novembre pour la Turquie avant de rejoindre la Syrie », se souvient Farida. Là-bas, elle donne des nouvelles via Skype. Sa tante peine à reconnaître celle qui lui répond par écran interposé. Elle porte désormais un Niqab. « Cela me fait mal de la voir comme ça, peste sa tante, Mais on ne peut pas trop la bra- quer, car nous avons peur de perdre le contact avec elle. » Tout comme Anissa, la Bordelaise, Soumia a mûrement réfléchi.

Son exil n’a rien d’une parenthèse, d’une lubie d’adolescente. « Ne vous inquiétez pas, a-t-elle confié sur Skype à sa famille. Je suis heureuse, j’ai fait mon choix. Je ne reviendrai pas. Ma vie est ici. » Sa tante Farida ne sait pas exactement dans quel coin de la Syrie elle réside : « Elle est peut-être avec ses copines dans une maison. Et peut-être qu’elle s’est mariée. Nous sommes à la fois résignés et effondrés. » Depuis le début de l’année 2014, une enquête pour disparition inquiétante a été ouverte. Les policiers ont découvert que Soumia avait entretenu pendant des semaines des liens sur le Net avec des « soeurs de combat ». Toutes prêtes à se donner corps et âme pour le djihad.

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Ancien Grand Reporter au Parisien, François Vignolle est spécialiste des questions de Police et de Justice. Il est rédacteur en chef des JT de M6 et a co-écrit avec Emmanuelle Maurel, « Le Pacte des Fourniret  », (Hachette Littérature, 2004). Azzeddine Ahmed-Chaouch est reporter à M6, spécialiste des questions police et justice auteur de l’ouvrage « Le Testament du diable » (Editions du moment, 2010).

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