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Alexis Tsipras joue la carte du Kremlin face au dédain européen

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Depuis que la gauche radicale est arrivée au pouvoir à Athènes, la Russie lui déploie le tapis rouge. Elle a déjà reçu le ministre grec des Affaires étrangères, celui de la Défense et celui de l’Energie. Boudé par le reste le l’UE depuis le début de son mandant de Premier Ministre, le leader de la formation politique Syriza est allé chercher un soutien du côté du Kremlin, alors même que la Grèce se trouve au beau milieu de laborieuses négociations avec les créanciers du pays, l’UE et le FMI. Aucune demande officielle de prêt n’a été adressée à la Russie, selon le ministre des finances grec, Yanis Varoufakis. Cette visite n’en est pas moins un appel de pied d’Athènes à ses créanciers.

Alexis Tsipras tente probablement d’obtenir un geste favorable de Moscou qui consisterait en une réduction du prix du gaz et une levée partielle de l’embargo sur les produits alimentaires grecs, décidé l’été dernier dans le cadre des contre-sanctions russes envers l’Union européenne. Le premier ministre grec n’a jamais caché son opposition au régime de sanctions infligées à la Russie : « Le gouvernement [grec] précédent n’a rien fait pour éviter cette politique de sanctions insensée de mon point de vue, y déclare M. Tsipras. Je ne suis pas d’accord avec ces sanctions, je pense que c’est une route qui ne mène nulle part. »

Dans un contexte de crise ukrainienne qui a sérieusement dégradé les relations entre l’UE et le Kremlin, cette visite de deux jours d’un responsable européen à Moscou n’est pas passée inaperçue. Elle intervient à un mois des cérémonies du 70e anniversaire de la victoire russe sur les nazis, boudées par plusieurs chefs d’Etat occidentaux. A la veille de la visite, le nouveau gouvernement d’Athènes s’est voulu rassurant, affirmant que la crise grecque devait « se résoudre dans le cadre de la famille européenne », une manière de dire que la Grèce ne cherchait pas d’aide financière en dehors de l’Union.

Avec la Grèce, Moscou espère enfoncer un coin dans la diplomatie européenne. Poutine tente de jouer la carte de la discorde afin de briser le consensus nécessaire au sein de l’UE pour adopter des sanctions à son encontre – leur prolongation éventuelle doit être discutée au mois de juin. « C’est important qu’il y ait des partenaires qui comprennent la position russe en ce qui concerne le conflit en Ukraine, et il faudra avoir ces contacts au moins pour les quatre années qui viennent », souligne Alexandre Romanovitch, vice-président de la commission des affaires étrangères de la Douma, la Chambre basse du Parlement russe.

Dans une interview au Rheinische Post, le ministre allemand de l’Économie, Sigmar Gabriel, a préféré minimiser l’incertitude géopolitique. « Je ne peux imaginer que quiconque à Athènes soit prêt à tourner le dos à l’Europe pour se jeter dans les bras de la Russie ». Les mises en garde n’ont pourtant pas tardé. Le ministre des Finances conservateur bavarois, Markus Söder, a prévenu que la Grèce « devait savoir à quel camp elle appartient. » Le président social-démocrate allemand du parlement européen Martin Schulz a lui jugé « inacceptable » un rapprochement entre Athènes et Moscou.

Il s’agit d’une erreur de lecture quand à la situation intérieure grecque. Alexis Tsipras ne prendra pas le risque de voir se former une opposition de gauche en dehors de Syriza. Il a su fonder un parti capable de se présenter à l’opinion grecque comme une alternative de gouvernement. Il sait qu’il peut faire accepter des concessions, mais n’ira pas jusqu’à imiter la politique d’un parti centriste. Ce un cap serait suicidaire compte tenu du rejet de l’ancien parti des Papandréou de la part des électeurs grecs. Par cette visite, Tsipras a donc joué la carte du rapport de force contre l’UE et sa position attentiste de créancière : les pays de l’UE craignent l’arrivée d’un « cheval de Troie » russe, qui bloquerait toute politique unitaire contre Moscou, et sèmerait la zizanie dans la zone euro. Le véritable enjeu dans ce jeu dangereux est de savoir s’ils sont prêts à prendre le risque d’une réforme du marché du travail en Grèce – allant de ce fait dans le sens de Syriza, plutôt que de multiplier les menaces de sortie à l’encontre du nouveau gouvernement grec.

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