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Les tentatives de réconciliation entre l’Ukraine et la Russie

« Si celui qui est en face de moi ne me comprend pas, ce n’est pas qu’il est bête, mais parce que moi je ne le comprends pas. Quand je l’aurai compris, je saurai me faire comprendre de lui. » déclarait l’écrivain et ethnologue malien Amadou Hampâté Bâ. Une citation qu’on aurait envie transposer à l’Ukraine, tant le dialogue de sourds qui s’est établi entre Kiev et Moscou tend à l’absurde.

On parle d’un conflit armé qui, en un peu plus d’un an a tué plus de 6 400 personnes, et qui met l’économie ukrainienne proprement à genoux – Le Fonds monétaire international (FMI) a pris la décision de soutenir le pays grâce à un prêt de 17,5 milliards de dollars sur quatre ans. Mardi, les chefs de la diplomatie russe, ukrainienne, française et allemande se retrouvent à Paris pour faire le point sur la mise en oeuvre des accords de paix de Minsk en Ukraine. Cette réunion intervient tout juste après que l’Union européenne ait décidé de prolonger les sanctions qui visent la Russie jusqu’à janvier 2016, ou « jusqu’à ce que la Russie remplisse ses obligations découlant de l’accord de Minsk », a précisé le ministre britannique Philip Hammond à la presse. Signal peu encourageant s’il en est pour le Kremlin.

Ces sanctions avaient été décrétées il y a onze mois par les Européens contre la Russie, accusée par Kiev et les Occidentaux de soutenir les combattants séparatistes dans l’est de l’Ukraine en leur fournissant des armes, mais aussi des troupes et des conseillers militaires – Moscou assure de son côté qu’elle n’a pas les moyens d’empêcher le départ des volontaires russes combattant dans l’est séparatiste de l’Ukraine.

Réaction russe immédiate à la prolongation des sanctions : le Kremlin envisage d’étendre les sanctions visant les importations de produits agricoles européens, les accompagnant d’une interdiction de séjour  de 89 personnalités, dont plusieurs députés européens ou français. A la nouvelle, lundi, de la prolongation des sanctions européennes, le ministère russe des affaires étrangères n’a pas hésité, une nouvelle fois, à réactiver ce parallèle historique. Affirmant que ce choix était « particulièrement cynique » en ce 22 juin, le 22 juin 1941 étant le jour anniversaire de l’invasion nazie de l’URSS. Le ton est donné.

La rhétorique est là encore intransigeante : selon Nikolaï Patrouchev, secrétaire du Conseil de sécurité russe qui a dirigé les services secrets (FSB) de 1999 à 2008, la crise ukrainienne est la conséquence d’un coup d’Etat financé par les Etats-Unis dans le but de détruire la Russie. « Ce qui les intéresse, ce n’est pas l’Ukraine, mais la Russie. Ils aimeraient que nous n’existions plus en tant que pays », a-t-il assuré. Les projets américains de stationnement de chars dans l’est de l’Europe, pour répondre aux demandes pressantes des membres de l’Otan frontaliers de la Russie, n’ont pas manqué de déclencher une riposte de Poutine. Il a réagi en dotant les forces stratégiques russes de 40 nouveaux missiles intercontinentaux d’ici la fin de l’année. Le risque d’accident militaire (lorsque les avions de chasse frôlent les avions civils européens) n’est pas nul. Il pourrait à tout instant faire passer l’escalade verbale en une escalade aux conséquences bien plus néfastes. Nul ne le souhaite, apparemment. Mais réarmer le langage et installer dans les esprits un climat de confrontation, n’est-ce pas la préparer ?

La dernière rencontre de diplomates des deux camps autour de la sortie de crise remonte à la mi-avril, à Berlin, et des réunions entre hauts fonctionnaires des quatre pays se tiennent régulièrement. Parallèlement, une réunion du groupe de contact sur l’Ukraine, qui réunit Moscou, Kiev et l’OSCE avec les séparatistes prorusses, doit aussi avoir lieu à Minsk, en présence du nouveau représentant de l’OSCE, l’Autrichien Martin Sajdik. Pourtant la situation n’avance pas réellement, car les deux parties sont occupées à défendre bec et ongles leurs position, et jouer au jeu du procès d’intention, pour réellement prendre en compte les revendications de l’autre, et les raisons qui les animent. Selon Vadim Karassiov, directeur de l’Institut des stratégies globales à Kiev, « il ne faut pas s’attendre à une percée dans les négociations » durant ces rencontres mais seulement à des « progrès ».

Une initiative récente se détache cependant du lot, semblant être la seule – pour l’instant – où les sujets du conflit n’ont pas systématiquement rejeté la faute sur l’autre. Le 11 juin dernier, une téléconférence internationale sur le thème « Contexte et perspectives de règlement du conflit dans l’Est de l’Ukraine » s’est tenue. Elle regroupait des intervenants russes, ukrainiens, européens et israéliens (doté d’une solide expérience en matière de conflit incarné s’il en est).  Le but de la téléconférence était d’établir des liens plus étroits entre les institutions des sociétés civiles de l’Ukraine, la Russie et l’Europe. Tous universitaires prestigieux, spécialisés dans la géopolitique et la philosophie, les participants à la conférence ont présenté leurs interprétations du conflit, et tenté de comprendre le point de vue adverse – on en revient finalement à Amadou Hampâté Bâ.

Les organisateurs ont bon espoir que de telles discussions autour des frustrations de populations, des ambitions des états et des mesures nécessaires en vue d’une normalisation de la situation marquent le début d’un dialogue à long terme. Elles permettront également de sortir des discours idéologisés par le conflit des médias, et de nous rapprocher du sentiment réel des populations, victimes de la grande messe géopolitique. De là à espérer qu’ils finissent même par se trouver des points communs, il n’y a qu’un pas.

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