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La France décide d’une intervention militaire aérienne en Syrie

Des vols de reconnaissance de l’aviation française seront menés à partir de mardi au-dessus de la Syrie en préalable à des « frappes » directes contre l’organisation Etat islamique (EI), a annoncé lundi le président François Hollande lors de sa conférence de presse à l’Élysée. « Nous voulons savoir d’où partent les attaques, où sont les centres d’entraînement », a expliqué le Président de la république. « Aujourd’hui en Syrie, ce que nous voulons, c’est connaître, savoir ce qui se prépare contre nous et ce qui se fait contre la population syrienne. » Il est donc désormais envisagé d’employer, sur le territoire syrien, les moyens jusque-là déployés par la France sur le seul territoire irakien  à la demande de son gouvernement. L’aviation française participe en effet depuis septembre 2014 aux opérations de la coalition emmenée par les Etats-Unis en Irak.

Après avoir évoqué « un mécanisme permanent et obligatoire » pour l’accueil des réfugiés et proposé la tenue d’une conférence internationale à ce sujet, le chef de l’Etat français a pointé du doigt « les causes » de la crise : le terrorisme, la guerre, et plus précisément l’organisation jugée responsable, à savoir Daesh. Le premier élément déclenchant est politique. Cette décision découle du mouvement d’opinion qui s’est formé autour de la photo de cet enfant mort sur une plage turque. Paris, qui avançait l’absence de base juridique pour justifier une intervention militaire contre Daesh en Syrie, c’est-à-dire ni sollicitation du gouvernement légitime, ni mandat international, a donc changé son fusil d’épaule. Il y a derrière ce revirement une observation objective : les combattants de Daesh ont gagné du terrain en Syrie et l’armée régulière ne fait plus grand-chose pour contre-attaquer dans les zones contrôlées par l’Etat islamique.

Sur le terrain, la plupart des centres opérationnels de l’EI sont passés du territoire irakien en Syrie. Aujourd’hui, l’essentiel de l’opposition armée à Bachar el-Assad est constituée d’islamistes (Al-Qaïda et l’EI). C’est là que sont confectionnées les bombes qui seront utilisées contre nos forces alliées, et que sont formés où orientés les terroristes qui prendront part à des attaques, notamment sur le territoire français. Les attaques meurtrières contre Charlie Hebdo, une policière et un magasin casher en janvier, celle commise fin août dans un train Thalys, les attentats avortés comme celui contre une église dans la banlieue parisienne, ont tous un lien avec le djihadisme et certains ont été revendiqués par Daech. Aussi, d’un discours de soutien à des alliés, nous avons glissé vers un argument d’autodéfense. L’efficacité de la coalition en Syrie est demeurée minime (seul le soutien aux kurdes a été couronné d’un relatif succès). « Daech a considérablement développé son emprise depuis deux ans », a fait valoir lundi François Hollande en justifiant le changement d’orientation de sa politique.

Derrière la nouvelle posture militaire de la France, on voit apparaître une approche très différente de celle préconisée par les Etats-Unis. Pour ces derniers, Daech est une crise irakienne, pour la France – et plus largement l’Europe – c’est une crise syrienne, avec des conséquences bien réelles sur son territoire (réfugiés, attentats…). Jusqu’alors, la coalition se fourvoyait en soulevant une distinction entre l’Irak et la Syrie. Celle-ci n’était pas pertinente car les combattants islamistes ont de fait aboli les frontières. Le président français a évolué sur un autre point, estimant que rien ne sera possible sans l’implication de Téhéran, resté envers et contre tout, avec Moscou, le principal protecteur du régime. La France a compris que le règlement du conflit syrien nécessite une vision multipolaire. Et cette multipolarité doit tenir compte de tous les acteurs.

Cela ne changera pas grand-chose sur le plan militaire. En tout et pour tout, la France a effectué 200 frappes contre l’Etat islamique en Irak, ce qui est peu par rapport aux 6500 bombardements de l’US Air Force. Le symbole est avant tout destiné à l’opinion publique. Selon un sondage Odoxa paru dimanche dans Le Parisien, les Français sont favorables (61 %) à ce que les troupes françaises participent à une intervention militaire au sol en Syrie contre l’EI. Les limites de la stratégie de la guerre aérienne des Occidentaux sont évidentes. En un an, ces frappes n’ont pas détruit, ni même véritablement affaibli, l’Etat islamique. D’où la question d’une intervention terrestre, alors même que les forces locales affrontant les djihadistes – les combattants kurdes, les milices chiites en Irak, l’Armée syrienne libre – ne suffisent à emporter la décision.

Mais pour le moment, une telle intervention est hors de question, aussi bien pour les Américains (qui n’ont pas oublié le fiasco irakien) que pour la France. « Je considère qu’il serait inconséquent et irréaliste d’envoyer des troupes françaises en Syrie au sol. Irréaliste, parce que nous serions les seuls ; inconséquent, parce que ce serait transformer une opération en force d’occupation », a expliqué le président français. Gérard Longuet, ancien ministre français de la Défense et sénateur Les Républicains de la Meuse, dénonce une annonce qui « ne résout absolument rien. » Il plaide par ailleurs pour que la France « obtienne une résolution des grandes puissances au sein du Conseil de sécurité, dont la Russie » et souhaite voir « un accord politique qui soit accepté et soutenu par les puissances régionales que sont la Turquie, l’Iran et l’Arabie saoudite. Tant que nous n’aurons pas cet accord politique, rien ne pourra se faire. »

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