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Moscou et Washington cherchent à collaborer sur le dossier syrien

Après l’Iran, la Russie. Alors que la France vient de mener ses premières frappes contre l’Etat Islamique en Syrie, le président russe Vladimir Poutine a proposé dans un entretien à la télévision américaine CBS, diffusé dimanche une nouvelle coalition en Syrie. Le président russe a annoncé qu’il cherchait à mettre en place avec « les pays de la région (…) une sorte de cadre de coordination » contre les djihadistes de Daech en Syrie et en Irak. Ce faisant, Vladimir Poutine s’impose comme un acteur incontournable pour trouver une sortie de crise en Syrie. Au siège de l’ONU à New York, le chef du Kremlin a réitéré son appel à une large coalition antiterroriste ce matin, évoquant une alliance internationale qui ressemblerait à celle contre Hitler pendant la Seconde Guerre mondiale. Celui-ci a pris Washington de court, en annonçant un accord avec l’Iran, l’Irak et le gouvernement de Bachar El-Assad pour partager leurs informations sur l’Etat islamique. Cette coalition est directement concurrente de celle formée par les Etats-Unis il y a un an, mais il n’exclut pas d’y inclure l’alliance américaine.

Mis au ban de la communauté internationale pour avoir orchestré les soulèvements de Donetsk en Ukraine, annexé la Crimée, Moscou a finalement repris sa place dans la diplomatie mondiale, hier, à l’occasion de l’Assemblée générale de l’ONU. Vladimir Poutine, qui boudait les Etats-Unis depuis une dizaine d’années, y a fait un retour fracassant, accaparant toute l’attention de la presse et des diplomates. Après avoir piétiné les principes de l’ONU et annexé l’Ukraine, voilà donc le président russe qui feint de jouer les rassembleurs. A cette occasion, il a pu rencontrer le président américain Barak Obama pour leur premier entretien formel depuis l’été 2013. Pour préparer cette rencontre décisive entre ces deux puissances aux relations glaciales, leurs ministres des Affaires étrangères, John Kerry et Sergueï Lavrov, ont multiplié les entretiens.

La diplomatie américaine,réclame depuis des années un départ du président syrien Bachar el-Assad – fidèle allié et client du Kremlin – dans le cadre d’une solution politique, le désignant comme principal responsable de la guerre civile qui a fait plus de 200 000 morts dans son pays.. Il y a une semaine, John Kerry a concédé que le calendrier du départ de Bachar el-Assad était négociable. « Nous pensons que c’est une énorme erreur de refuser de coopérer avec le gouvernement syrien et ses forces armées, qui tiennent courageusement tête au terrorisme », a déclaré Vladimir Poutine lors de son discours à l’Assemblée générale des Nations unies. « Nous devrions reconnaître que seules les forces armées du président Assad et les milices (kurdes) combattent réellement l’Etat islamique et d’autres groupes terroristes en Syrie », a-t-il ajouté. Dans ce contexte, un parties des dirigeants et diplomates occidentaux ont affiché une position plus souple vis-à-vis du régime syrien, ce qui semble signaler que la Russie est en train d’imposer – au moins partiellement – ses vues sur le dossier syrien.

Invité de France Inter, Védrine a effectivement rappelé que face à une crise majeure, les rivaux étaient parfois contraints de s’allier. « Personne n’a écouté les minorités en Syrie qui disaient ‘le régime Assad est affreux mais le successeur sera pire' », a aussi déploré l’ex-ministre des Affaires étrangères, qui estime par ailleurs qu' »on n’aurait jamais dû écarter la Russie » sur la question syrienne. Les résultats des frappes menées par la coalition de Washington se font toujours attendre, alors que l’ONU a officiellement reconnu que le territoire contrôle par Daesh avait progressé depuis un an. les dizaines de frappes aériennes menées en Irak et en Syrie ont freiné l’expansion des djihadistes, sans la stopper pour autant. Ceux-ci ont par ailleurs étendu leur influence à de nouveaux pays, parmi lesquels la Libye, l’Afghanistan et l’Egypte. La poignée de main glaciale qui a couronné la première réunion bilatérale Moscou – Washington en dit long. Le président russe tente d’exploiter l’échec des Américains en Syrie, et il semble bien en passe de réussir. Poutine et Obama ont toutefois approuvé le principe de discussions tactiques entre leurs deux armées pour éviter tout incident lors d’éventuelles opérations en Syrie, où la Russie renforce sa présence militaire depuis plusieurs semaines.

Le président français a répété son souhait de voir partir Bachar el-Assad dans le cadre d’un gouvernement de transition : « On ne peut pas faire travailler ensemble les victimes et le bourreau. Nous devons tout faire pour qu’une transition politique puisse être trouvée en Syrie. Elle passe nécessairement par le départ de Bachar el-Assad. Rien n’a changé, et aucune initiative, d’où qu’elle vienne, ne pourra nous faire croire qu’il faudrait revenir au régime antérieur, celui qui a justement provoqué les drames que l’on sait, pour trouver un avenir à la Syrie. » « La situation nous impose d’accepter le compromis », a admis Barack Obama, hier. L’arrivée de chars russes en Syrie affaiblit encore un peu plus son influence. « Les Russes veulent convaincre le monde qu’il ne pourra rien arriver de bon sans leur intervention. Ils ne nous laissent d’autre choix que de discuter avec eux », reconnaît Dennis Ross, qui conseillait Barack Obama lors de son premier mandat.

Alors qu’elle possède déjà une installation navale permanente à Tartous, Moscou a accru sa présence militaire dans l’ouest de la Syrie, dans la province de Lattaquié notamment, fief du clan Assad, déployant un véritable arsenal. C’est un coup double pour Vladimir Poutine : il protège le pouvoir de Bachar al-Assad, très fragilisé depuis cet été, et réussit un coup politique en se refaisant une virginité en cherchant à montrer qu’au fond tout le monde n’a qu’un adversaire commun : le terrorisme djihadiste. En volant la vedette, et en offrant une solution acceptable aux occidentaux, il compte diviser pour à terme mieux régner. La stratégie est familière côté russe, tant les tendances despotiques de Poutine lui valent régulièrement le courroux de la communauté internationale. Mais pour l’heure, la main tendue russe est bien la meilleur solution dans ce conflit qui s’enlise, avec les conséquences idéologiques et humaines qu’on connaît.

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