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Alexis Tsipras, le funambule

En juillet 2015, par un référendum sans appel, 62 % du peuple grec (les milieux popu­laires et jeunesse en tête) ont dit non aux créan­ciers. Non, ils ne marcheront pas au pas. A bout de souffle, le pays exprimait un grand ras-le-bol quant aux conditions drastiques imposées par les créanciers.

Depuis, si ce scrutin a servi à renforcer l’assise du parti au pouvoir, élu pour dire lui-aussi non à la « troïka », afin, ce dernier applique finalement de plus belle la politique dictée par celle-ci (Fonds monétaire international, Mécanisme européen de stabilité, Banque centrale européenne et Commission européenne). Elu pour la première fois le 25 janvier 2015, le parti d’Alexis Tsipras avait pourtant promis d’apporter du changement dans les rapports entre la Grèce et ses créanciers publics. Aujourd’hui, Syriza semble être devenu une réincarnation PASOK (le PS grec, qui a largement décliné au cours de ces dernières années), avec un visage plus jeune, et des cadres corrompu – mais lui aussi impuissant à assurer les inté­rêts des classes popu­laires.

Pour la nouvelle année en Grèce, des centaines d’agriculteurs bloquent les grands axes routiers du pays, des médecins, pharmaciens, avocats et notaires protestent dans les rues de la capitale, et une troisième grève générale est prévue le 4 février prochain : un an après son arrivée au pouvoir, le gouvernement d’Alexis Tsipras ne diffère plus vraiment des précédents. Pour beaucoup de Grecs, la débandade a commencé le 13 juillet 2015, lorsque Alexis Tsipras après plus de dix-sept heures de négociations avec les créanciers du pays, a annoncé qu’il acceptait la signature d’un nouveau plan d’aide à la Grèce. A la clé, 86 milliards d’euros. Mais en contrepartie, plus de 220 nouvelles mesures d’austérité sur les trois prochaines années.  « Le changement ne vient pas avec la théorie des livres mais dans l’action quotidienne, lançait Alexis Tsipras lors de la cérémonie célébrant l’arrivée de son parti au pouvoir. Un an plus tard, la bataille continue. » Le Premier ministre grec ne pouvait échapper à une réalité : son pays est en faillite. A ce moment, les distributeurs de billets sont vides, l’argent liquide devient rare. L’économie est à l’arrêt. Il faut donc coopérer ou tout perdre.

A ce moment, sa ligne politique devient floue. L’idée est de rester dans l’euro vaille que vaille, mais sur tous les autres points de campagne, Tsipras finit par capituler (hausse de la TVA, adoption d’une règle d’or budgétaire, réforme des retraites à l’origine d’une véritable fronde sociale…). D’abord renforcé par ce referendum, Syriza ressort largement fragilisé par ses concessions. « Cette rhétorique de la gauche qui, même quand elle perd, affirme ne jamais cesser de se battre, a fonctionné un temps auprès des Grecs mais commence à s’essouffler », estime l’économiste Georges Pagoulatos.

Son espoir : une restructuration de sa dette – une nécessité pour les uns, une chimère pour les autres.  Il reste certes quelques points où le gouver­ne­ment Tsipras tient sa gauche : la réforme du système carcé­ral, le pacte civil pour les couples homo­sexuels et la loi sur la natu­ra­li­sa­tion des enfants d’im­mi­grés nés ou scola­ri­sés en Grèce. Ces mesures « idéologiques » reflètent la situation de nombre de partis de gauche dans le contexte de crise actuel, surtout dans la zone euro : la difficulté qu’ils éprouvent à mener une politique économique sociale, les pousse vers des mesures symboliquement à gauche (on pense au mariage pour tous d’un PS français qui venait de faire son coming out social-démocrate après une campagne fustigeant la finance).

Non content d’avoir fait croire à son peuple que la volonté politique suffirait à sortir de la crise, Tsipras paie aussi le prix de ses alliances. Après avoir perdu son aile gauche, faute de majorité absolue, le parti de la gauche radicale a reconduit sa curieuse alliance avec le parti de droite et souverainiste des Grecs indépendants (ANEL) crédité de quelque 3,5 % des suffrages. Dans la droite ligne de sa campagne, il a choisi de s’allier avec Panos Kammenos, un homme politique qui a vigoureusement combattu les mesures d’austérité et la « troïka. »

Kammenos s’avère cependant être un allié de plus en plus encombrant, d’autant plus à l’heure où Syriza joue la conciliation avec l’UE. Après avoir fait l’essentiel de sa carrière politique dans les rangs de Nouvelle Démocratie, où il a été député en 1993, il fonde un parti rival – et très virulent – en 2012 expliquant que la Grèce « avait été victime d’un complot international. » Complot abracadabrant, au sein duquel, s’il avait existé, il portait une certaine responsabilité : ministre de la marine de 2006 à 2008, c’est lui qui a négocié la concession du port du Pirée à la Chine. Ce qui ne l’empêche visiblement pas d’arborer des tee-shirts sur lesquels est écrit « la Grèce n’est pas à vendre ».

Poujadiste, populiste, Kammenos est une véritable caricature des hommes politiques qui ont précipité le pays dans la crise. Il est de ce fait méprisé par l’ensemble des représentants européens. Il l’est aussi pour ses nombreux dérapages. Le dernier en date : en décembre, il a expliqué dans un entretien télévisé que « les bouddhistes, les juifs et les musulmans ne payaient pas d’impôts. » Dans un pays divisé comme la Grèce l’est aujourd’hui, ce type de mensonge stigmatisant est irresponsable. Il traîne également un certain nombre de casseroles, dans un gouvernement qui se fait le parangon de la vertu et de la lutte contre la corruption. Son yacht familial est ainsi détenu par des sociétés offshores, et les travaux dans la maison de sa belle-mère – pour la transformer en hôtel – ont été payés par les fonds européens. Voilà qui fait mauvais genre. De plus, il a été pris la main dans le sac dans une affaire de mensonge public entre les deux élections. Alors que le président de la République consultait les partis pour essayer de mettre en place un gouvernement d’unité nationale, M. Kammenos expliquait dans une lettre qu’il était prêt à y participer à condition que son parti obtienne le ministère de la défense. Il a par la suite grossièrement démenti avoir écrit cette lettre et a accusé de mensonges les services de la présidence.

Le dicton populaire dit, avec des amis comme ça, pas besoin d’ennemis. Et pourtant, Alexis Tsipras commence à les accumuler. Ce qui est certain, c’est qu’à l’heure où sa politique est de plus en plus questionnée, ses mauvaises alliances vont être de plus en plus reprochées à Tsipras, par l’Europe, mais aussi par le peuple grec.

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