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Energie nucléaire : la nouvelle mainmise de la Russie sur l’Europe ?

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La Russie mise depuis toujours sur ses exportations de pétrole et de gaz pour s’assurer un levier diplomatique important sur l’Europe. Les récents conflits en Ukraine et les sanctions économiques internationales prises à l’encontre de la Russie ont cependant donné un coup de frein aux exportations du pays, qui n’aura finalement pas mis longtemps avant de trouver une nouvelle industrie vecteur d’influence dans l’Union européenne : l’énergie nucléaire. Les sanctions internationales, si elles ont affecté les exportations de pétrole et de gaz russe, ne semblent en effet pas influer sur la capacité de la Russie à fournir de l’énergie nucléaire dans le monde. 

Doucement, mais sûrement, Rosatom assoie l’influence mondiale russe

Malgré des accidents comme Tchernobyl ou Fukushima, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) prédit une croissance continue de l’énergie nucléaire durant les 15 prochaines années. Le dernier rapport de l’agence table sur hausse du secteur entre 17 % et 94 % d’ici 2030. La Russie capitalise aujourd’hui sur ces prévisions de croissance et construit petit à petit des centrales nucléaires aux quatre coins du monde, se créant ainsi le début d’un vaste empire allant de l’Amérique du sud au Moyen-Orient, en passant par l’Afrique, l’Asie, l’Amérique du nord et bien sur, l’Europe. 

Principal acteur derrière cette incroyable expansion : Rosatom, une entreprise publique russe, autorisée depuis 2007 par la loi fédérale à poursuivre et à « mettre en œuvre la politique de l’énergie atomique nationale dans l’intérêt de la Fédération de Russie et de ses citoyens ». A sa tête depuis 2005, Sergeï Kirienko, Premier ministre de la Fédération de Russie pendant quelques mois en 1998 et ami proche de Vladimir Poutine. 

Au lendemain de Fukushima, Rosatom a non seulement conservé l’ensemble de sa capacité de production et de ses projets en cours, mais l’entreprise a également, depuis 2011, augmenté son portefeuille de 60 %. Elle opère dans 40 pays et dispose d’un portefeuille de commandes à l’étranger représentant 101 milliards de dollars sur les 10 prochaines années. 29 projets sont en cours aujourd’hui à travers le monde : en Turquie (Akkuyu), en Arménie, au Vietnam, au Bangladesh, en Inde (Kudankulam), en Chine (Tianwan), en Hongrie (Paks) ainsi qu’en Finlande et en Biélorussie (Astravets). 

Si cette expansion était jusqu’ici discrète, la nouvelle stratégie russe commence à attirer l’attention et certaines constructions de centrales nucléaires en Europe rencontrent depuis plusieurs mois une opposition nette de plusieurs pays de l’Union européenne, ceci pour des raisons environnementales aussi bien que diplomatiques. Parmi les plus controversés, le projet de construction de la centrale nucléaire d’Astravets, dans le nord-ouest de la Biélorussie, d’une puissance de 1,2 gigawatt. Le russe Rosatom, en charge de la construction, prévoit un lancement du premier réacteur en 2018 et du deuxième deux ans plus tard. Problème : le site de construction se situe à seulement 50 kilomètres de la capitale lituanienne, Vilnius. Et si la Biélorussie semble avoir tourné la page de Tchernobyl et faire une entière confiance à la Russie, ce n’est pas le cas de la Lituanie. 

La Lituanie et la Finlande tirent le signal d’alarme

« Les réacteurs russes de type AES-2006 n’ont jamais été testés par des experts internationaux indépendants et leurs paramètres de sécurité ne sont pas connus », interpelle Linas Vainius, un activiste vert lituanien, pionnier de la lutte contre la centrale biélorusse. De nombreux députés lituaniens en appellent en effet à la communauté européenne depuis plusieurs mois espérant faire arrêter ce projet. En cause : la violation des normes de sécurité devant être appliquées aux centrales nucléaires dans l’Union européenne. Si accident nucléaire il y a, Vilnius ainsi que Daugavpils, deuxième ville de Lettonie, devraient être évacuées. « Mais pour les Biélorusses, les problèmes s’arrêtent à la frontière » déplore Rokas Masiulis, ministre lituanien de l’Energie. 

Un miroir aux alouettes dans lequel semblent également se regarder les responsables européens. Jusqu’ici, aucun membre de la commission Juncker, que ce soit le responsable de la commission environnementale Karmenu Vella ou le responsable de la commission énergétique Maroš Šefčovič, ne s’est impliqué dans cette affaire. Une absence de réponse qui ne devrait pas durer alors que la principale source d’eau de la centrale devrait être une rivière locale, Néris, directement connectée à la mer Baltique. En d’autres termes, si la centrale d’Astravets pose un jour un problème du fait de sa construction en dehors des normes de sécurité européenne, les conséquences seront désastreuses pour la Biélorussie et la Lituanie certes, mais également pour l’ensemble des pays de l’Union européenne. 

Plus au nord, les Finlandais s’organisent eux-aussi contre la construction par Rosatom, en collaboration avec la compagnie finlandaise Fennovoima, de la centrale Hanhikivi 1 à Pyhäjoki (nord ouest). Le 26 avril dernier, jour du 30ème anniversaire de la catastrophe de Tchernobyl, plusieurs dizaines de manifestants ont pénétré sur le chantier de construction de la centrale, dénonçant les lacunes en termes de sécurité du projet. « Nous voulons rappeler à la population que la centrale de Tchernobyl a été construite par le prédécesseur de Rosatom », rappelait alors un participant de la manifestation. 

Finalement, alors que pour la Russie, les centrales nucléaires ne sont rien d’autres qu’un énième outil géopolitique, permettant au Kremlin de se lier sur le long terme avec différents gouvernements européens, les conséquences d’une telle stratégie ne seront pas seulement diplomatiques ou politiques et pourraient prendre une envergure sanitaire mondiale.
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